Les modifications au marché en cours d’exécution, une révolution plus qu’une évolution  

François Bauduin
Expert en marchés publics

La transposition de la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics et plus particulièrement de l’article 72 a mené le législateur belge à revoir en profondeur l’approche et la gestion des modifications du marché en cours d’exécution.

Le siège de la matière figure dorénavant aux articles 37 et 38 de l’arrêté royal établissant les règles générales d’exécution des marchés publics du 14 janvier 2013, tel que modifié par l’arrêté royal du 22 juin 2017.

Désormais, il n’est plus question du droit du pouvoir adjudicateur d’imposer unilatéralement des modifications, moyennant le respect de la triple condition de rester dans l’objet du marché, de prévoir une juste compensation, s’il y a lieu et de limiter la modification à 15% du marché initial.

Il s’agit maintenant d’examiner si l’hypothèse visée par la modification concernée permet son exécution par l’adjudicataire initial ou nécessite la relance d’un nouveau marché en fonction du respect ou non des conditions prévues à l’article 38 et ses déclinaisons de l’arrêté royal précité.

Il est à noter que les articles 9, 10 et 11 de la loi du 17 juin 2016 font également référence aux modifications au travers du principe du forfait, de la révision des prix et du bouleversement de l’équilibre contractuel du marché en cas de survenance de circonstances imprévisibles.

Principe général et champ d’application

La modification au marché en cours d’exécution vise toute adaptation des conditions contractuelles du marché, du concours ou de l’accord cadre, en cours d’exécution[1].

L’article 37 de l’arrêté RGE dispose que les marchés et les accords-cadres ne peuvent être modifiés, sans nouvelle procédure de marché, que dans les cas prévus par la section intitulée « modifications au marché ».

L’enjeu est de taille dès lors que l’exécution d’une modification à un marché n’est plus (quasi) librement exécutée par l’adjudicataire initial comme par le passé.

Les cas permettant l’exécution de la modification sans nouvel appel à la concurrence et les conditions à respecter strictement sont repris aux articles 38 38/1 à 38/12 qui concernent : les travaux, fournitures et services complémentaires, les événements imprévisibles dans le chef de l’adjudicataire, le remplacement de l’adjudicataire, le règle « de minimis », les modifications non substantielles, la révision des prix, les impositions ayant une incidence sur le montant du marché, les circonstances imprévisibles dans le chef de l’adjudicataire, les faits de l’adjudicateur et de l’adjudicataire, et les suspensions ordonnées par l’adjudicateur et les incidents durant la procédure.

Ces différentes hypothèses – réglementaires – ne seront pas développées ici, mais relevons que la règle « de minimis » par exemple permet la modification sans relance, à la double condition que son montant soit inférieur à la publicité européenne et à 10% du montant initial du marché en cas de marché de fournitures ou de services et 15% en cas de marché de travaux.

Il y a lieu de prendre en compte le cumul de chaque modification pour vérifier le pourcentage de modification. À comparer avec l’ancien article 37 qui faisait référence au seuil unique de 15% et à l’objet du marché.

D’autres hypothèses de modification couvertes par une clause de réexamen, soit une clause contractuelle insérée dans les documents du marché, peuvent aussi être exécutées sans obligation de relance d’une nouvelle procédure de passation.

Par ailleurs, de manière générale, la modification couverte ou non par une clause de réexamen ne peut pas changer la nature globale du marché.

En termes de conditions de recevabilité, l’article 38 reprend également les règles relatives aux  conditions d’introduction des demandes d’indemnisation ou de prolongation de délai à la suite de la survenance des hypothèses visées aux articles 38/8 à 38/11, ce qui constitue une reprise quasi intégrale des articles 52, 53, 55 et 57 de l’arrêté royal RGE du 14 janvier 2013 qui ont été abrogés.

Les hypothèses qui constituaient sous l’égide de la réglementation, applicable avant le 30 juin 2017, des incidents d’exécution (manquements du pouvoir adjudicateur, circonstances imprévisibles, impositions nouvelles et suspension du marché) sont maintenant à considérer comme des modifications au marché, ce qui ne manquera pas de bouleverser les pratiques en la matière.

Une nouveauté a également été introduite via un devoir de publicité au B.A et au JOUE qui s’impose à l’adjudicateur en cas de modification dans les hypothèses de marchés des travaux, fournitures et services complémentaires et/ou des événements imprévisibles dans le chef de l’adjudicateur si le marché concerné atteint les seuils de publicité européenne.

Notons que le principe du jeu des quantités présumées ne figure pas dans le périmètre du champ d’application des modifications au marché. Les règles antérieures en la matière restent d’application.

Concepts nouveaux

Terminologie européenne oblige, le législateur belge a introduit des notions et concepts inédits tels la clause de réexamen, la nature globale du marché, la valeur cumulée nette des modifications et de manière essentielle, la distinction entre la modification non substantielle et substantielle.

La compréhension et l’application adéquate de ces notions est essentielle dans le cadre de la gestion en toute légalité des modifications.

La notion de nature globale du marché n’est pas définie dans les textes, mais on peut considérer que ce concept recouvre une réalité le cas échéant plus large que celle d’objet du marché.

Quant à la valeur cumulée nette, elle vise l’obligation de prendre en compte chaque modification successive pour vérifier le niveau financier final de l’ensemble des modifications survenues dans le cadre de l’exécution du marché concerné.

En revanche, le législateur a bien précisé ce que recouvre la modification substantielle considérée comme telle dès lors qu’une des conditions énoncées à l’article 38/5 est remplie, cet article reprenant les critères tirés de la jurisprudence de la CJUE[2] qui stigmatise la potentialité d’un changement au niveau de l’approche concurrentielle de départ.

Citons notamment la possibilité de l’admission d’autres opérateurs économique à la procédure de passation initiale si la modification avait été connue dès le départ.

Notons également que la cession volontaire du marché est visée expressément comme cause de modification substantielle avec obligation, pour le pouvoir adjudicateur, de relancer en principe une nouvelle procédure de passation.

Quant à la clause de réexamen, elle doit être claire, précise et univoque et a pour objet de prévoir des adaptations du marché rendues nécessaires par divers événements tels que, par exemple, des entretiens extraordinaires ou des évolutions techniques difficiles à appréhender lors de la rédaction des documents du marché.

L’idée sous-jacente étant qu’au travers de cette clause, les soumissionnaires aient une connaissance préalable de la possibilité de modification en cours d’exécution du marché.

De manière expresse, la révision des prix doit faire l’objet d’une clause de réexamen claire précise et univoque[3].

Enfin soulignons que les règles aux articles 38/8, 38/9, 38/10 et 38/11 de l’arrêté royal RGE qui doivent, en principe, faire l’objet d’une clause de réexamen, s’appliquent de plein droit même en l’absence de clause de réexamen spécifique dans les documents du marché.

Conclusion

Nul doute que ces nouvelles règles obligeront les praticiens à adapter leur angle de vue, face à des  modifications antérieurement gérées le plus souvent sous l’angle du consensualisme et de l’accord négocié.

Les six mois d’existence des nouveaux textes ont déjà démontré la difficulté de rédaction de clauses de réexamen, dans le respect des conditions posées par le législateur, sans même évoquer les diverses interprétations qui émergent depuis la publication de cette nouvelle réglementation entre autres en ce qui concerne les « clauses de réexamen présumées » dans le cas des règles applicables de plein droit.

Il y a clairement place pour le débat et nous serons très attentifs à la jurisprudence qui ne manquera pas d’émerger, dans cette thématique particulière des marchés publics.

Pour plus d’informations sur le sujet, retrouvez François Bauduin le 20 février lors de notre formation Marchés publics : les bonnes pratiques à mettre en oeuvre à Bruxelles

[1] Article 2 24° AR RGE 14 janvier 2013

[2] Cour de Justice de l’Union européenne Presstext (affaire C-54/06)

[3] Art. 10 loi 17 juin 2016 et art.38/7 AR RGE du 14 janvier 2013

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