Véronique Vanden Acker
Avocat associé
Earth Avocats
I. Les procédures négociées – secteurs classiques
La nouvelle loi relative aux marchés publics du 17 juin 2016 apporte, c’est une nouveauté, des précisions quant à l’objet des négociations dans les procédures négociées avec publicité et sans publicité. Ces précisions sont à mettre en œuvre en tenant compte des nouvelles dispositions de l’Arrêté royal passation du 18 avril 2017 sur la régularité des prix et des offres qui s’appliquent, c’est également une nouveauté, aux procédures négociées.
Rappelons d’abord que, pour les secteurs classiques, ces procédures sont respectivement rebaptisées « procédure concurrentielle avec négociation » et « procédure négociée sans publication préalable » et ce, pour transposer fidèlement la directive 2014/24/UE.
La procédure concurrentielle avec négociation
En son article 38, la Loi précise pour la procédure concurrentielle avec négociation (procédure en deux phases) que « Le pouvoir adjudicateur négocie avec les soumissionnaires les offres initiales et toutes les offres ultérieures que ceux-ci ont présentées, à l’exception des offres finales, en vue d’améliorer leur contenu. Le pouvoir adjudicateur peut néanmoins attribuer des marchés sur la base des offres initiales sans négociation, lorsqu’il a indiqué, dans l’avis de marché, qu’il se réserve la possibilité de le faire. » Ainsi, le pouvoir adjudicateur a l’obligation de négocier, sauf s’il s’est expressément réservé la faculté de ne pas le faire. Cette mention doit figurer dans l’avis de marché.
L’article 38 précise encore que : « Les exigences minimales et les critères d’attribution ne font pas l’objet des négociations. » En d’autres termes, ces mentions des documents du marché ne peuvent être modifiées ; les offres (initiales ou ultérieures) non conformes à ces exigences minimales sont soit rejetées soit régularisées, dans le respect des règles reprises à l’article 76 AR passation du 18 avril 2017. En tout état de cause, les offres (initiales ou ultérieures) substantiellement irrégulières ne peuvent être admises à la négociation. Par contre, le pouvoir adjudicateur peut modifier d’autres éléments de ses documents du marché (y inclus les spécifications techniques). Dans ce cas, le principe d’égalité de traitement impose au pouvoir adjudicateur d’informer les soumissionnaires dont les offres n’ont pas été éliminées à ce stade de ces changements et de prévoir suffisamment de temps pour permettre à ces soumissionnaires de modifier leur offre ou de les présenter à nouveau.
Le principe d’égalité de traitement constitue le guide des négociations. En effet, toujours aux termes de l’article 38, ce principe interdit au pouvoir adjudicateur (i) non seulement de donner des informations discriminatoires, susceptibles d’avantager certains soumissionnaires par rapport à d’autres (ii) mais également de révéler aux autres participants les informations confidentielles communiquées par un candidat ou un soumissionnaire participant aux négociations, sauf accord écrit et préalable de celui-ci. « Cet accord ne revêt pas la forme d’une renonciation générale, mais vise les informations précises dont la communication est envisagée » précise l’article 38 précité.
Enfin, l’article 38 autorise le pouvoir adjudicateur à ne pas négocier avec tous les soumissionnaires, pour autant qu’il l’ait prévu dans les documents du marché. Il indique alors que la procédure peut se dérouler en phases successives de manière à limiter le nombre d’offres à négocier et ce, en appliquant les critères d’attribution précisés dans l’avis de marché ou dans un autre document du marché. Le pouvoir adjudicateur veillera à se réserver une faculté (« peut ») et non une obligation. À défaut, il précisera dans ses documents du marché qu’il se réserve la possibilité de modifier le déroulement des négociations dans le respect du principe d’égalité de traitement, c’est-à-dire en informant les soumissionnaires de ces modifications.
L’article 38 dispose enfin que « lorsque le pouvoir adjudicateur entend conclure les négociations, il en informe les soumissionnaires restant en lice et fixe une date limite commune pour la présentation d’éventuelles offres nouvelles ou révisées ».
En tout état de cause, le pouvoir adjudicateur attribue le marché sur la base des offres finales. Lorsqu’il s’est réservé la possibilité de ne pas négocier et en a fait usage, les offres initiales sont alors qualifiées d’offres finales.
À cet effet, il opère correction et vérification des prix prix globaux ou unitaires sont apparemment anormaux (art. 34 et 35 AR passation du 18 avril 2017), il applique strictement la procédure de justification des prix apparemment anormaux prévue à l’article 36 AR passation du 18 avril 2017 et rejette pour nulles les offres affectées de prix (définitivement) anormaux, au sens de l’article 36 précité. C’est notamment le cas des offres présentant un prix global anormalement bas au motif que le soumissionnaire ne respecte pas les obligations de droit social, du travail et environnemental applicables. Il applique également les règles strictes de régularité des offres et écarte pour nulles les offres affectées d’irrégularités substantielles ou réputées telles en vertu de l’article 76 AR passation du 18 avril 2017.
Le pouvoir adjudicateur applique les critères d’attribution aux offres qu’il a retenues pour régulières (c’est-à-dire non affectée d’irrégularités substantielles) aux fins de désigner l’offre économiquement la plus avantageuse.
Il s’assure que le titulaire de l’offre finale régulière et économiquement la plus avantageuse ne se trouve pas en situation d’exclusion et répond aux conditions de sélection (sur la base des documents justificatifs « mis à jour » qu’il lui demande, comme l’indique l’article 73 de la Loi).
La procédure négociée sans publication préalable
Des précisions ont également été apportées pour les procédures négociées sans publication préalable. Cette procédure en une phase se caractérise par l’absence de publication d’un avis de marché et le fait que le pouvoir adjudicateur invite les opérateurs de son choix à remettre offre. L’article 42 de la Loi indique que : « Le pouvoir adjudicateur peut négocier avec les soumissionnaires les offres initiales et toutes les offres ultérieures que ceux-ci ont présentées en vue d’améliorer leur contenu. » Ici, c’est bien une faculté de négociation qui est ouverte au pouvoir adjudicateur qui « peut » négocier mais ne le doit pas. Par ailleurs, il résulte de la définition légale de la procédure que les négociations ne doivent pas être menées avec tous les soumissionnaires puisqu’elles peuvent avoir lieu « avec un ou plusieurs soumissionnaires » (art.2, 26° Loi). L’article 42 de la Loi précise que les critères d’attribution (lorsqu’ils doivent être prévus dans les documents du marché) ne peuvent jamais faire l’objet des négociations. Ils restent inchangés. Quant aux exigences minimales, la Loi fait une distinction suivant la valeur estimée du marché. Si elle est inférieure aux seuils de publicité européenne, ces exigences minimales peuvent être modifiées, sauf bien sûr, principe de transparence oblige, si les documents du marché excluent cette possibilité. Dans les autres cas, les exigences minimales ne peuvent pas être négociées. On rappellera que, en vertu du principe d’égalité de traitement, toute modification aux documents du marché (y inclus celle qui vise une exigence minimale lorsqu’elle est autorisée) doit être communiquée aux soumissionnaires pour leur permettre d’adapter leur offre en conséquence.
En procédure négociée sans publication préalable, le marché sera dès lors attribué sur la base des offres initiales ou finales. Les dispositions en matière de correction et de vérification des prix, de justifications des prix apparemment anormaux (articles 34, 35 et 36 AR passation du 18 avril 2017) et de régularité des offres (article 76 de l’AR passation du 18 avril 2017) trouveront également à s’appliquer, tenant compte des latitudes offertes par ces articles en procédures négociées. En tout état de cause, le pouvoir adjudicateur ne pourra attribuer le marché qu’à l’offre régulière (voire régularisée) au sens de l’article 76 précité et donc qui, à ce titre, sera conforme aux exigences minimales des documents du marché (le cas échéant modifiées en cours de procédure) et économiquement la plus avantageuse sur la base des critères d’attribution définis dans les documents du marché, sauf cas exceptionnels.
Le pouvoir adjudicateur se sera assuré que le titulaire de cette offre ne se trouve pas en situation d’exclusion obligatoire au sens des articles 67 et 68 de la Loi tenant compte des éventuelles mesures correctrices, voire en situation d’exclusion facultative au sens de l’article 69 de la Loi si le pouvoir adjudicateur l’a rendu applicable. Notons que la « simplification » qui permet de ne vérifier les motifs d’exclusion (voire les critères de sélection pour les marchés dont la valeur estimée est égale ou supérieure aux seuils européens) que dans le chef de l’attributaire pressenti du marché n’est pas applicable aux procédures négociées sans publication préalable (sauf pour les services de l’annexe 3 de la loi). En d’autres termes, ces vérifications doivent être faites, en principe, dans le chef de tous les soumissionnaires, l’absence de dettes fiscales et sociales devant être vérifiée, via telemarc, dans les 20 Jours de la date ultime d’introduction des offres.
II. Les procédures négociées – secteurs spéciaux
Rappelons d’abord que, dans les secteurs spéciaux, les procédures négociées sont rebaptisées « procédure négociée avec mise en concurrence préalable » et « procédure négociée sans mise en concurrence préalable » et ce, pour transposer fidèlement la directive 2014/25/UE.
Ces termes peuvent surprendre. En effet, dans le premier cas, on vise bien des procédures avec publication préalable qui se déroulent en deux temps. La mise en concurrence a donc lieu obligatoirement via une publication préalable. Dans le deuxième cas, on vise des procédures en une phase où certes l’entité adjudicatrice est dispensée d’une publication préalable, mais pas d’une mise en concurrence, puisqu’elle doit « inviter les opérateurs de son choix à remettre offre » (art.2, 27° loi) et, dans ce cadre, « consulter si possible plusieurs opérateurs » (art.124 loi).
En secteurs spéciaux, la Loi (articles 120 et 124) ne précise rien quant à l’objet (ou au déroulement) des négociations, mais cela n’implique pas pour autant que les entités adjudicatrices disposent d’une liberté inconditionnelle. En effet, d’une part, les principes généraux de transparence, d’égalité de traitement et de non-discrimination s’appliquent et limiteront dès lors la marge de manœuvre de l’entité adjudicatrice de façon assez similaire à ce qui est prévu pour les secteurs classiques, d’autant que les règles de l’AR passation du 18 juin 2017 relatives à la correction et justification des prix et à la régularité des offres (identiques à celles prévues dans l’AR passation secteurs classiques) s’appliquent également, certaines latitudes en termes de « régularisation » étant laissées aux entités adjudicatrices.
Notons enfin que, dans les secteurs spéciaux, l’entité adjudicatrice est dispensée de prévoir des critères d’attribution dans ses procédures négociées sans mise en concurrence qui sont mises en œuvre en raison de la valeur du marché : le seuil est ici de 418 000 euros, hors TVA. La dispense peut surprendre au regard des principes d’égalité de traitement et de transparence mais n’affecte pas le principe de l’attribution à l’offre (régulière) économiquement la plus avantageuse.
III. La renégociation des marchés
La notion fait référence aux possibilités de modification d’un marché après sa conclusion, c’est-à-dire en cours d’exécution de celui-ci.
Les règles à cet égard sont reprises dans l’AR du 14 janvier 2013 contenant « les règles générales d’exécution des marchés publics » (RGE) qui a été revu par l’arrêté royal du 22 juin 2017.
La révision des RGE consiste, pour cet aspect de l’exécution des marchés, à transposer les dispositions des directives « marchés » de 2014 qui ont déterminé les hypothèses dans lesquelles des modifications à un marché en cours d’exécution sont autorisées. Les directives s’inspirent de la jurisprudence de la Cour de justice qui, à l’occasion de plusieurs arrêts, a indiqué que les modifications substantielles sont interdites, sauf si elles sont prévues par les documents du marché ou par les directives. Partant de là, les directives disposent que des modifications sont autorisées dans deux cas de figure.
Premier cas de figure, celui où les modifications sont prévues par les documents du marché de façon claire, précise et univoque. C’est ce que la directive appelle des « clauses de réexamen » qui doivent préciser leur champ d’application, la nature des modifications qu’elles autorisent et leurs conditions d’application. Si ces clauses peuvent permettre des modifications substantielles, elles ne peuvent pas permettre des modifications qui changeraient la nature globale du marché.
Le deuxième cas de figure est celui des modifications autorisées par la Directive dans les conditions qu’elle détermine. Cinq hypothèses sont visées : (i) les travaux, fournitures ou services complémentaires qui ne peuvent, pour des raisons techniques et financières, pas être confiées à un autre opérateur que l’adjudicataire du marché en cours d’exécution, (ii) les modifications rendues nécessaires par des circonstances que le pouvoir adjudicateur ne pouvait raisonnablement pas prévoir, (iii) le remplacement de l’adjudicataire suite à une « opération corporate », (iv) les modifications de faible valeur et (v) les modifications non substantielles telles qu’elles résultent de l’arrêt PRESSETEXT. En secteurs classiques, les deux premières hypothèses sont assorties de plafonds financiers.
Pour transposer ces directives, le législateur belge a, dans les RGE, introduit la nouvelle notion de « modification du marché » en la définissant comme « toute adaptation des conditions contractuelles du marché (…) en cours d’exécution ». Étrangement, il a maintenu la notion de « révision du marché » en la définissant comme « toute adaptation des conditions du marché en fonction de facteurs déterminés d’ordre économique et social », alors que la directive ne fait pas cette distinction. De même, la directive ne distingue pas suivant que les modifications sont imposées par le pouvoir adjudicateur, demandées et obtenues par l’adjudicataire ou arrêtées de commun accord des parties. Elle indique uniquement quelles modifications sont autorisées.
Le législateur a, ensuite, transposé fidèlement les dispositions des directives dans les articles 37, 38, 38/1 à 38/6 des RGE où il a repris le principe des « clauses de réexamen » (art.38) et a reproduit les modifications prévues par la directive dans le respect des conditions qu’elle pose (38/1 à 38/6)
Dans les dispositions qui suivent, le législateur a repris l’obligation ou la possibilité pour les adjudicateurs de prévoir toute une série de « clauses de réexamen » dans leurs documents du marché.
À ce titre, l’article 38/7 RGE oblige les adjudicateurs à prévoir dans les marchés de travaux et de certains services, dont la valeur est égale ou supérieure à 120 000 euros et les délais d’exécution à 120 jours ouvrables, une clause de révision des prix (adaptation de celui-ci à des factures déterminées d’ordre économique et social) en précisant les conditions de validité des formules de révision. Cette obligation devient une faculté pour les marchés de fourniture et les autres marchés de service.
D’autres « clauses de réexamen » doivent être prévues par les adjudicateurs dans les documents du marché. Ainsi en son al.1er, l’article 38/8 RGE oblige les adjudicateurs à prévoir dans les documents du marché une clause qui permette une révision du prix du marché en cas de modification des impositions en Belgique ayant une incidence sur le montant du marché. L’article 38/8 al. 2 et suivant prévoit les conditions d’application de cette révision. Il prévoit, en son dernier alinéa que, si les documents du marché ne contiennent pas une clause de révision du prix en raison d’une modification des impositions en Belgique, ses dispositions (al.2 et suivants) sont « réputées applicables de plein droit ». La même technique est utilisée aux articles 38/9, 38/10, 38/11 et 38/12 des RGE.
Toutefois, comme le précise le Rapport au Roi, pour les marchés au-dessus des seuils européens ou présentant un intérêt transfrontalier, cette mention du « applicable de plein droit » ne permettra pas d’aller au-delà des modifications autorisées par les directives et qui sont reprises aux articles 38/1 (travaux, fournitures et services complémentaires), 38/2 (modifications rendues indispensables par un événement imprévisible dans le chef de l’adjudicateur), 38/4 (modifications mineures – règle de minimis) ou 38/5-6 (modifications non substantielles) RGE, sauf à faire de ces articles 38/8 et suivants des « clauses de réexamen » au sens défini par la directive et à l’article 38 RGE. À cet effet, ces articles devront à tout le moins être repris dans le cahier spécial des charges. Dans le cas des articles 38/9, 38/10 et 38/11 RGE, le cahier spécial des charges devra préciser quel type de révision du marché l’adjudicataire/l’adjudicateur peut obtenir, les termes « toute autre révision » ou « la révision des dispositions contractuelles » repris aux RGE ne répondant pas aux exigences de précision d’une clause de réexamen exigées par la directive.
Enfin, notons que les articles 80, 81, 121 et 151 des RGE sont restés inchangés. Ces dispositions visent les modifications d’un marché imposées par le pouvoir adjudicateur ou le « jeu des quantités présumées » en marchés de travaux. Dans la mesure où elles permettent de revoir l’objet du marché, les prix, les délais d’exécution, voire donnent droit au paiement d’une indemnisation dans le chef de l’adjudicataire, elles ne pourront s’appliquer, pour les marchés au-dessus des seuils européens ou présentant un intérêt transfrontalier, que pour autant qu’elles respectent les conditions et limites des modifications autorisées par la directive et reprises aux articles 38/1, 38/2, 38/4 et 38/5-6 RGE, sauf à faire des dispositions précitées des RGE des « clauses de réexamen », au sens défini par la directive et l’article 38 RGE.
On en conclura que, en termes de renégociation des marchés, c’est-à-dire de modifications du marché en cours d’exécution, les pouvoirs adjudicateurs qui veulent se réserver la possibilité d’autoriser ou imposer des modifications allant au-delà de ce que les directives autorisent et qui est repris aux articles 38/1 à 38/6 RGE, devront le prévoir dans les documents du marché sous la forme de dispositions claires, précises et univoques précisant quelles modifications sont possibles dans quelles hypothèses et moyennant quelles conditions.
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