Contrôle de tutelle du licenciement des agents contractuels du secteur public (C.E., arrêt n°236.475 du 22 novembre 2016)

Vincent VuylstekeVincent Vuylsteke
Avocat
Van Olmen & Wynant

 

I. Présentation de la problématique

L’arrêt commenté[1] porte sur la possibilité dont dispose la Région wallonne, en tant qu’autorité de tutelle, d’annuler la décision par laquelle une commune licencie un agent contractuel.

Par le passé, le Conseil d’État a déjà admis qu’une autorité de tutelle peut contrôler, et, le cas échéant, annuler, la décision de licencier un agent contractuel. La Haute juridiction administrative a statué en ce sens dans un arrêt du 15 février 2002 concernant le CPAS de Houyet[2]. Cet arrêt est rendu sur avis contraire de Bruno Lombaert, Auditeur à l’époque, lequel avait notamment souligné dans son rapport que la décision de mettre fin à un contrat de travail ne constitue pas un acte détachable de celui-ci, au contraire de la décision de conclure le contrat.

Malgré les critiques[3], cette jurisprudence a été confirmée par la suite[4].

L’on a pu penser que l’arrêt de la Cour de cassation du 12 octobre 2015, par lequel la Cour a décidé que ni la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs, ni le principe de droit administratif d’audition préalable ne s’appliquaient au licenciement d’un agent contractuel, serait de nature à remettre en question cette jurisprudence. Cet arrêt s’inscrit en effet dans le sens d’une non-application des règles propres au droit public à la matière du licenciement des agents contractuels et la Cour de cassation semble y considérer que le licenciement n’est pas un acte administratif[5]. Par ailleurs, le Conseil d’État a également confirmé récemment en assemblée générale qu’il était lui-même incompétent pour connaître de la décision de licenciement d’un agent contractuel[6].

Dans un arrêt du 27 septembre 2016[7], le Conseil d’État, en même temps qu’il se ralliait à la jurisprudence de la Cour de cassation concernant la non-application de la loi relative à la motivation formelle et des principes de bonne administration au licenciement d’un agent contractuel, n’avait toutefois pas estimé devoir critiquer la compétence d’une autorité de tutelle qui avait procédé au contrôle d’un licenciement. Dans cette affaire, il est vrai que la partie requérante n’avait pas expressément contesté la possibilité pour l’autorité de tutelle de se prononcer en la matière.

La situation est tout autre dans l’affaire donnant lieu à l’arrêt commenté. Dans cette affaire, la requérante, la commune de Dour, a essayé d’obtenir un revirement jurisprudentiel quant à la compétence des autorités de tutelle, en s’appuyant notamment sur l’arrêt de la Cour de cassation du 12 octobre 2015. Un effort payant ?

II. Arrêt du Conseil d’État n° 236.475, du 22 novembre 2016

Dans son arrêt, rendu sur avis conforme de l’auditorat, le Conseil d’État rejette les arguments de la partie requérante tendant à démontrer que l’autorité de tutelle n’est pas compétente pour contrôler un licenciement dans le cadre de son pouvoir d’annulation.

Le Conseil estime, en particulier, que la décision d’une commune de licencier un travailleur contractuel est bien un acte soumis au contrôle exercé dans le cadre de la tutelle générale d’annulation au sens du Code de la démocratie locale et de la décentralisation.

Répondant à l’argument invoqué par la partie requérante, le Conseil d’État indique qu’il ne peut être déduit de l’arrêt de la Cour de cassation du 12 octobre 2015 que l’autorité de tutelle, à savoir la Région wallonne, ne pourrait plus contrôler la régularité de la décision de licencier un travailleur contractuel, dès lors que le contrôle de tutelle institué par le Code de la démocratie locale et de la décentralisation ne vise pas uniquement les actes administratifs mais, selon les termes de l’arrêt, « plus largement « tous les actes » émanant des autorités communales ».

Il est vrai que l’article L3121-1 du Code précité indique que « sont soumis à la tutelle générale d’annulation tous les actes autres que ceux visés aux articles (…) ». Toutefois, l’article L3111-2, 2° précise que le terme « acte » vise : « la décision administrative soumise à tutelle et formulée in extenso ». À partir du moment où il semble acquis que le licenciement ne constitue pas un acte administratif, ce que le Conseil d’État rappelle dans son arrêt en se référant à l’arrêt de la Cour de cassation du 12 octobre 2015, l’expression « décision administrative » ne fait-elle dès lors pas obstacle à la compétence de la Région ? Les débats ne semblent pas avoir porté sur ce point précis.

Dans son arrêt, le Conseil d’État souligne également, entre autres, qu’il n’existe pas d’incohérence ou de paradoxe à admettre la compétence de l’autorité de tutelle alors que le Conseil d’État lui-même est incompétent pour connaître de la décision de licencier un agent contractuel. Le Conseil d’État indique, à cet égard, qu’il exerce un contrôle de légalité sur la manière dont l’autorité de tutelle exerce sa compétence, et non pas un contrôle sur la validité du licenciement décidé par le conseil communal.

Par ailleurs, le Conseil d’État estime que la circonstance que les agents contractuels ne bénéficient pas du mécanisme de recours auprès du gouvernement wallon institué par le Code au bénéfice des agents statutaires ayant fait l’objet d’une décision de révocation ou de démission d’office non annulée par l’autorité de tutelle, ne signifie pas que les décisions de licenciement devraient échapper au contrôle de tutelle.

La partie requérante avait en outre suggéré au Conseil d’État de poser une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle, tendant à faire constater une discrimination entre, d’une part, une commune, employeur public soumis au contrôle de tutelle, et, d’autre part, un employeur privé, non soumis au contrôle de tutelle. Le Conseil d’État a refusé de le faire, en indiquant que la discrimination prétendue résulterait directement de la Constitution, et en particulier de son article 162, alinéa 2, 6° (qui prévoit que la loi consacre l’intervention de l’autorité de tutelle ou du pouvoir législatif fédéral pour empêcher que la loi ne soit violée ou l’intérêt général affecté).

Finalement, bien qu’il admette que l’autorité de tutelle pouvait se prononcer en l’espèce, le Conseil d’État donne gain de cause à la partie requérante puisqu’il annule la décision de l’autorité de tutelle pour vice de motivation.

III. Perspectives d’avenir

La problématique de la cohabitation des règles de droit public et de droit privé en matière de licenciement des agents contractuels du secteur public, continue de nourrir les débats jurisprudentiels et doctrinaux. Après la controverse concernant l’application de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs et des principes généraux de bonne administration, la question de la compétence des autorités de tutelle pour contrôler les licenciements en fournit une nouvelle illustration.

Selon la jurisprudence commentée, le licenciement d’un agent contractuel peut donc être annulé par l’autorité de tutelle, en l’occurrence la Région wallonne. Le droit administratif s’invite donc une nouvelle fois au grand banquet du droit social. Même si cette jurisprudence ne remet pas en cause la position adoptée par la Cour de cassation quant à la non-application de la loi relative à la motivation formelle et des principes de bonne administration[8], les licenciements sont ainsi soumis à un contrôle propre au droit public, et assorti d’une sanction -l’annulation- que le droit privé ne connaît pas.

Le débat reviendra sans doute encore devant le Conseil d’État, et ce d’autant plus que d’autres textes, rédigés de manière différente, prévoient des mécanismes de tutelle en droit belge. Par ailleurs, comme le soulignait Bruno Lombaert dans son rapport d’auditorat rendu dans l’affaire CPAS de Houyet ayant donné lieu à l’arrêt du 15 février 2002 mentionné ci-avant, la problématique peut prendre une autre ampleur si le licenciement en cause est un licenciement pour motif grave. L’article 35 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail précise en effet que le motif grave est « laissé à l’appréciation du juge », ce qui semble donc exclure un contrôle de l’autorité de tutelle, qui n’est pas un « juge »[9].

Indépendamment de ces constatations, l’application du contrôle de tutelle à la matière du licenciement des agents contractuels ne manque pas de poser une série de questions pratiques. La possibilité d’annulation d’une décision de licenciement constitue une dérogation importante aux principes du droit du travail belge, qui ne prévoit pas la réintégration du travailleur licencié, sauf exception[10]. Si un licenciement est contesté devant l’autorité de tutelle, la situation sur le terrain risque d’être compliquée à gérer, tenant compte également du fait qu’un recours devant le Conseil d’État demeurera possible après la décision de l’autorité de tutelle et sachant que les agents disposent en outre de la possibilité de saisir les juridictions du travail[11]. Qui plus est, les autorités de tutelle exercent également, traditionnellement, un contrôle d’opportunité, c’est-à-dire de conformité à l’intérêt général, indépendamment de toute violation d’une règle de droit. On peut donc imaginer la situation d’un agent dont le licenciement serait déclaré parfaitement légal par les juridictions du travail mais qui parviendrait malgré tout à en obtenir l’annulation devant une autorité de tutelle… Affaire à suivre !

Pour plus d’informations sur le sujet et l’analyse de cet arrêt, retrouvez-nous lors des journées consacrées à la fonction publique organisées les 16 et 17 mai 2017 à Bruxelles.

[1] C.E., Commune de Dour, n°236.475, du 22 novembre 2016.

[2] C.E., CPAS de Houyet, n°103.610, du 15 février 2002 ; voy. également C.E., CPAS de Houyet, n°127.986, du 10 février 2004.

[3] Voy. T. Stiévenard, « Le Licenciement des agents contractuels de la fonction publique », in P. Levert, B. Lombaert (dir.), Droit et contentieux de la fonction publique – 10 années d’actualité, Paris, EFE, pp. 337 à 340.

[4] Par exemple, C.E., Ville de Fosses-la-Ville, n°179.869 et 179.870, du 19 février 2008.

[5] Sur cet arrêt et sur la problématique de la motivation du licenciement des agents contractuels, voy. notamment S. de Somer et V. Vuylsteke, « De Wet Motivering Bestuurshandelingen en het ontslag van de overheidscontractant : het langverwachte oordeel van het Hof van Cassatie en een blik op de toekomst », Tijdschrift voor Gemeenterecht, 2016,  pp. 125 à 138 et V. Vuylsteke, « Motivation formelle du licenciement des agents contractuels : la fin de l’histoire ou l’histoire sans fin ? Commentaires sur l’arrêt prononcé par la Cour de cassation le 12 octobre 2015 », Contribution écrite reprenant l’intervention lors de l’Assemblée Générale de la Commission de droit public de l’Ordre français des Avocats du Barreau de Bruxelles du 24 juin 2016, Publicum, septembre 2016, n° 21, pp. 8 à 20.

[6] C.E., Goedseels, n°234.035, du 4 mars 2016 ; voy. dans le même sens C.E., Dumouch, arrêt n° 234.851, du 25 mai 2016.

[7] C.E., IEG, n°235.871, du 27 septembre 2016. Cet arrêt a été commenté lors de la demi-journée d’actualités organisée par IFE le 1er décembre 2016.

[8] Dans son arrêt n°235.871 du 27 septembre 2016 précité, le Conseil d’État avait déjà confirmé que l’autorité de tutelle, à la suite de l’arrêt de la Cour de cassation du 12 octobre 2015, ne peut pas annuler la décision de licenciement pour contrariété à la loi du 29 juillet 1991 ou aux principes généraux de bonne administration.

[9] L’arrêt commenté concerne un licenciement pour motif grave, mais le débat ne s’est pas posé en ces termes devant le Conseil d’État.

[10] On pense ainsi au régime de protection du (candidat) délégué du personnel.

[11] Pour d’autres réflexions quant aux difficultés possibles, notamment pour l’agent qui désirerait obtenir des allocations sociales, voy. T. Stiévenard, « Le Licenciement des agents contractuels de la fonction publique », in P. Levert, B. Lombaert (dir.), Droit et contentieux de la fonction publique – 10 années d’actualité, Paris, EFE, pp. 339 et 340.

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