La notion d’aide d’État et les nuances sur la prohibition générale

Marianne Clayton
Partner
Avocat à la Cour (Paris – Brussels (List « E »))
Clayton & Segura – State Aid Lawyers

Acteurs publics, activités économiques et subventions croisées – La notion d’aide d’État et les nuances sur la prohibition générale

L’Article 107.1 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) pose le principe général de la prohibition des aides d’État. Ce principe doit être nuancé par deux remarques fondamentales : la notion d’aide d’État elle-même et les critères pour considérer qu’une aide est compatible avec les règles du Traité.

Le Traité dispose que pour qu’une mesure – quelle que soit sa forme – relève de la qualification d’aide d’État, les conditions suivantes doivent toutes être remplies : elle doit avoir été accordée au moyen de ressources d’État et imputable à l’État (la notion d’État étant définie comme intégrant tous les niveaux de l’État : fédéral ; régional, communal, mais aussi tout organe relevant de la sphère publique), c’est-à-dire décidée par les pouvoirs publics ; elle doit favoriser une ou certaines entreprises ; elle doit affecter les échanges entre États membres, et menacer d’affecter la concurrence.

Il faut cependant préciser que les règles relatives aux aides d’État ne s’appliquent que lorsque le bénéficiaire potentiel de l’aide est « une entreprise ». La jurisprudence européenne a défini de façon constante une entreprise comme une entité – quelle que soit sa forme juridique – qui exerce une activité économique. Il ne peut donc y avoir aide d’État que s’il y a activité économique.

L’objectif du Droit des aides d’État est de contrôler l’intervention des acteurs publics sur un marché où se confrontent des opérateurs privés selon les règles de marché. Il est généralement admis que le fait, pour des entreprises, de s’entendre sur des prix ou sur une répartition de marché soit sanctionné, car l’atteinte à la concurrence est incontestable.

Il n’en est cependant pas de même pour ce qui est de l’intervention d’autorités ou d’acteurs publics dans l’économie. Pour beaucoup, la majorité des interventions publiques – du seul fait de leur caractère public – ne relèvent pas de la notion d’activité économique et sont donc exclues du champ du droit de la concurrence.

Or une telle perception de l’intervention publique doit absolument être remise en cause, car elle ne correspond pas à la réalité juridique et n’est pas sans risque.

La Commission européenne, suivie par la Cour de Justice à Luxembourg, a une interprétation extensive de la notion d’« activité économique ». En pratique, il ne reste que très peu de domaines qui échappent à cette notion.

C’est la raison pour laquelle il est fondamental, lors de toute intervention par un organe public ou parapublic, de se poser la question de l’éventuelle application du droit des aides d’État.

Cela est également vrai du secteur de l’économie sociale – logements sociaux, insertion de travailleurs précarisés ou de populations vulnérables – qui relève alors potentiellement du régime spécifique relatif aux aides accordées aux « services d’intérêt économique général » (SIEG). Cette notion de SIEG prend en compte le caractère très spécifique de certains secteurs et les soumet à un régime particulier.

Le Traité fait la liste, à l’article 107.2 et 3 TFUE, des critères sur la base desquels une aide peut être considérée compatible et par conséquent octroyée au(x) bénéficiaire(s). Les critères ont été développés et précisés dans des lignes directrices adoptées par la Commission européenne, dans des Règlements (Règlement Général d’Exemption par Catégories, De minimis, etc.) ainsi que dans le paquet de mesures sur les aides d’État en faveur des SIEG.

La problématique des subventions croisées

Par ailleurs, il est fondamental pour un organe qui exerce à la fois des activités économiques sur le marché et des activités qui relèvent de la notion de service d’intérêt économique général de mettre en place une discipline comptable afin de distinguer de façon claire ces deux activités.

Il est en effet essentiel d’éviter tout risque de « subventions croisées ». Cette notion couvre l’hypothèse où un organe exerce à la fois des activités qui relèvent de la notion de SIEG et des activités qui sont exercées sur un marché ouvert à la concurrence.

Les règles relatives aux subventions croisées visent à prévenir le risque que les subventions versées à une entreprise en faveur de l’une de ses activités soient utilisées par celle-ci pour renforcer sa position concurrentielle sur les autres marchés sur lesquels elle est en concurrence avec d’autres opérateurs privés.

Un exemple récent de cette problématique concerne le cas Bruxelles-Propreté. L’Agence Bruxelles-Propreté est un organisme d’intérêt public qui a notamment pour mission la collecte et le traitement des déchets ménagers. Elle dispose, à ce titre, d’un monopole de fait et est, à cette fin, principalement financée par une dotation publique octroyée par la région de Bruxelles-capitale. Bruxelles-Propreté est également active dans le secteur de la collecte et du traitement des déchets non-ménagers où elle exerce une activité commerciale en concurrence avec des opérateurs privés.

Le Tribunal de première instance francophone de Bruxelles fut saisi d’une demande, par des entreprises concurrentes de Bruxelles-Propreté, fondée inter aliasur le fait que la dotation régionale en faveur de Bruxelles-Propreté constituait une aide d’État illégale utilisée par l’Agence sur le marché concurrentiel de la collecte des déchets non ménagers.

Les demanderesses avaient souligné que puisque ni la région, ni Bruxelles-Propreté n’étaient en mesure de déterminer les proportions respectives de ses activités de collecte des déchets ménagers et non ménagers, Bruxelles-Propreté ne pouvait affirmer que son activité commerciale était totalement autonome par rapport à la dotation régionale et exclure ainsi, qu’elle serait en réalité exercée à perte et compensée par les subsides régionaux. Bruxelles-Propreté avait admis que la collecte des déchets ménagers et non ménagers se faisait au cours des mêmes tournées, utilisant de ce fait les mêmes équipements et les mêmes ressources humaines sans procéder à un pesage séparé ce qui aurait permis de procéder à une affectation des coûts respectifs.

Le tribunal conclut que les subventions croisées opérées par Bruxelles-Propreté avec ses activités commerciales constituaient des aides d’État.

Cet arrêt du Tribunal constitue un exemple concret d’application du droit des aides d’État et plus particulièrement de la problématique des subventions croisées. Il constitue également une excellente illustration de nombreux domaines dans lesquels des organes parapublics devraient se poser la question de l’application des aides d’État et notamment celle des subventions croisées.

C’est en effet dans ces cas de figure que le risque est le plus élevé qu’un concurrent introduise une plainte auprès des services de la Commission européenne ou, comme dans le cas de l’affaire Bruxelles-Propreté, saisisse directement les juridictions nationales. L’enjeu pour l’entité qui décharge des obligations de service public et développe des activités commerciales, c’est la récupération des montants d’aides incompatibles reçues comme subventions croisées y compris les intérêts moratoires établis au niveau européen.

Pour plus d’informations sur le sujet, retrouvez Marianne Clayton le 7 mai 2019 à Bruxelles à l’occasion de notre formation Aides d’État et SIEG.

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