Aurélien Vandeburie
Avocat au barreau de Bruxelles
Cabinet Portico
Maître de conférences à l’ULBDepuis quelques années, praticiens et académiques s’interrogent sur la possibilité de pouvoir constituer des ensembles de propriétés empilées les unes sur les autres, en marge de la loi sur la copropriété, afin d’en éviter les contraintes.
Compte tenu des réformes apportées par la loi du 25 avril 2014 au régime de la loi du 10 janvier 1824 sur le droit de superficie, une partie de la doctrine a constaté qu’une division horizontale de la propriété immobilière ne pouvait se faire qu’en empilant des droits de superficie les uns sur les autres, tant en sursol qu’en sous-sol. La solution est évidemment peu satisfaisante en pratique, compte tenu du terme maximum d’un tel droit de superficie (cinquanteans).
L’arrêt de la Cour de cassation du 6 septembre 2018
Un arrêt de la Cour de cassation du 6 septembre 2018 (C.17.0265.F/1) tend à penser que cette lecture du droit en vigueur doit être revisitée. L’arrêt considère, de manière lapidaire, qu’il ne se déduit pas de l’article 553 du code civil et de l’article 1erde la loi du 10 janvier 1824 sur le droit de superficie, que toute renonciation au droit d’accession engendre la constitution d’un droit de superficie.
Est-ce à dire qu’il existerait, en marge de la propriété temporaire qu’implique le droit de superficie, une propriété perpétuelle, dissociable de la propriété du sol ?
C’est l’avis de l’avocat général Werquin. Dans ses conclusions précédant cet arrêt, il affirme que « (…) aucune disposition n’interdit la dissociation perpétuelle des propriétés du sous-sol, du sol et du sursol. (…) Les différentes parties d’un immeuble peuvent avoir des propriétaires distincts et (…) le sol, tout ou parties des constructions qui se trouvent au-dessus et le sous-sol peuvent être l’objet de droits de propriété distincts et appartenir à diverses personnes. (…) La division horizontale et perpétuelle de la propriété du sol, du sursol et du sous-sol est ainsi consacrée dès lors que le droit de propriété est un droit exclusif et perpétuel par essence ».
La loi du 25 avril 2014 ne modifie pas ce raisonnement : « Le droit belge », affirme-t-il, « permet de diviser perpétuellement la propriété immobilière en propriétés horizontales distinctes ».
La conclusion est limpide, mais aussi d’une importance cruciale, tant elle prend le contrepied de la thèse majoritairement retenue en doctrine jusqu’ici : « Il suit de ce qui précède que deux régimes de division de propriété coexistent, à savoir, d’une part, une propriété exclusive et perpétuelle, d’autre part, une propriété superficiaire temporaire. Soit des parties constituent un droit réel qui est un droit de superficie qui a pour conséquence d’accorder la propriété du sursol ou du sous-sol en tout ou en partie, de manière limitée dans le temps. Soit une partie de la propriété immobilière est cédée, elle est divisée, et un droit de propriété de nature exclusive et perpétuelle est ainsi créé, sur le sursol ou le sous-sol. Ce n’est que dans l’hypothèse où l’acte ne fait pas apparaître le régime juridique de la renonciation à l’accession que, pour éviter un vide juridique, celle-ci peut être considérée comme conférant un droit de propriété temporaire, à savoir un droit de superficie, dès lors que le Code civil considère comme bien principal le sol au profit duquel joue l’accession de ce qui s’y unit accessoirement, la propriété du sol étant conçue comme un droit perpétuel. »
Projet de loi réformant le Code civil
L’arrêt du 6 septembre 2018 est prononcé alors qu’un projet de loi réformant le Code civil était en passe d’être déposé au Parlement (Doc 54-3348/001). Or, au titre de mesures devant permettre la modernisation du droit des biens figurait l’insertion de dispositions devant permettre la division en volumes dans une optique de rentabilité sociale de l’espace constructible, habitable et exploitable.
Le droit de superficie y est dorénavant défini comme « le droit réel d’usage qui confère la propriété de volumes, bâtis ou non, en tout ou en partie, sur, au-dessus ou en dessous du fonds d’autrui, aux fins d’y avoir tous ouvrages ou plantations » (art. 3.192).
C’est pour tenir compte des problèmes posés par la division en volumes qu’il est également proposé de porter la durée maximum du droit de superficie de cinquante à nonante-neuf ans, mais aussi, de lui donner un caractère perpétuel dans certaines circonstances.
Deux possibilités sont envisagées (art. 3.195).
D’une part, un droit de superficie peut être perpétuel « à des fins de domanialité publique ». Cette solution est justifiée par le fait que le droit réel doit pouvoir se poursuivre tant que dure l’affectation publique dans le sens d’une affectation à l’usage de tous, soit à un service public.
D’autre part, le droit de superficie peut être perpétuel pour permettre la division en volumes d’un ensemble immobilier complexe et hétérogène comportant plusieurs volumes susceptibles d’usage autonome et divers qui ne présentent entre eux aucune partie commune. Selon l’exposé des motifs, la situation en fait peut correspondre à des choses relativement simples comme un bâtiment résidentiel, une place publique ou un centre commercial en sursol, avec un parking souterrain en sous-sol, ou à des situations avec des constructions et ouvrages multiples sur ou sous dalle commune.
Actualité … de la réforme (?)
L’avis critique de la section de législation du Conseil d’État n’a pas modifié la marche du Gouvernement.
L’arrêt de la Cour de cassation du 6 septembre 2018, qui n’a pas été ignoré par les auteurs du projet de loi, ne les a pas davantage incités à revoir leur copie.
On peut toutefois se demander si cet arrêt ne doit pas amener à une nouvelle réflexion d’ensemble de la réforme, à tout le moins à l’affiner.
Les péripéties du Gouvernement fédéral risquent d’avoir raison du projet de loi. Elles peuvent aussi constituer une nouvelle opportunité de pousser encore plus avant l’exercice de refonte en cours.
Ces questions, et bien d’autres, seront discutées lors du séminaire organisé le 26 février prochain.
Pour plus d’informations sur le sujet, retrouvez Aurélien Vandeburie lors de notre formation Propriété des volumes : vos nouveaux enjeux le 26 février à Bruxelles.
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