Le licenciement pour motif grave : le point sur la procédure au regard de la jurisprudence récente

Aurore GuéritAurore Guérit
Avocate
Younity

Leflot CharlineCharline Leflot
Avocate
Younity

Pieter-JanPieter-Jan Germeaux
Avocat
Younity

Il n’est pas anodin que dans une entreprise un travailleur commette une faute à ce point grave qu’elle met à néant la confiance devant régner dans la relation de travail et qu’elle rend ainsi la poursuite de la relation de travail immédiatement et définitivement impossible. Dans ce cas de figure, l’employeur est en droit de procéder au licenciement pour motif grave du travailleur concerné.

Le licenciement pour motif grave constitue une sanction très lourde de conséquences pour le travailleur. Ce dernier se retrouve en effet du jour au lendemain sans le moindre revenu : son contrat de travail a pris fin sans préavis ni indemnité et il est en outre exclu, pour une période déterminée, du droit aux allocations de chômage.

Compte tenu de la nature du licenciement pour motif grave, des règles très strictes ont été édictées par le législateur pour qu’il soit reconnu valable. Ainsi, toutes les fautes ne justifient pas un licenciement pour motif grave. Des délais et des conditions très stricts doivent être respectés au moment de la notification de la rupture du contrat du travail et de la motivation du licenciement et un certain nombre de formalités doivent par ailleurs également être accomplies. En cas de non-respect de ces règles, le travailleur peut prétendre au paiement d’une indemnité de rupture à charge de l’employeur. Il est dès lors d’une importance capitale que le licenciement pour motif grave réponde à toutes les exigences énoncées légalement.

 

Première étape : le respect des conditions de forme

 Le respect du double délai de trois jours

Pour que le licenciement pour motif grave soit valable, l’employeur doit respecter un double délai de trois jours : le premier, pour notifier la rupture du contrat de travail et le second, pour notifier le motif grave, étant entendu, cependant, que l’employeur peut procéder par un seul et même acte.

Cette règle mène fréquemment les employeurs à nous interroger afin de s’assurer que ce délai ne sera pas dépassé :

  • Demain, nous serons samedi, pouvons-nous attendre lundi pour licencier le travailleur ?
  • Certains collègues étaient au courant des faits mais pas la personne compétente pour licencier, le délai de trois jours est-il dépassé ?
  • La personne compétente est en réalité « plusieurs personnes » puisqu’il s’agit d’un organe, quand le délai de trois jours débute-t-il ?
  • Nous avons souhaité entendre un autre son de cloche avant de prendre la décision de licenciement, le délai de trois jours avait-il déjà commencé ?

Il est dès lors utile de rappeler certains principes au sujet de cette règle, qui a encore donné lieu au cours de l’année 2015 à de nombreux débats devant les Cours et Tribunaux.

Tout d’abord, par « jour ouvrable », il faut entendre le jour susceptible d’être travaillé c’est-à-dire tous les jours, sauf le dimanche et les jours fériés.

L’année passée, la Cour du travail de Liège[1] a confirmé que les jours où l’employeur ferme les bureaux pour permettre à son personnel de récupérer un jour férié qui tombait un dimanche demeurent des jours habituels de travail et sont dès lors « ouvrables ». Ainsi donc, si l’information intervient un jeudi 22 décembre, que le 25 décembre tombe un dimanche et que les bureaux sont fermés le lundi 26 décembre, le délai de trois jours débute le vendredi à 00h01 et se terminera le lundi à minuit, le dimanche n’étant pas un jour ouvrable, mais le lundi en étant un.

Ensuite, le délai de trois jours débute au moment où le fait et les circonstances qui en font un motif grave sont connus avec une certitude suffisant à la propre conviction de l’employeur.

Ce principe a été rappelé en 2015 par la Cour de cassation[2]. En l’espèce, l’employeur disposait de la version des faits du travailleur concerné mais souhaitait en outre entendre la version des faits de sa responsable. Il s’est vu reproché avoir perdu du temps en ne procédant pas à l’audition au premier moment utile. La Cour de cassation a cassé l’arrêt de la Cour du travail et rappelé que le délai de trois jours débute au moment où l’employeur a effectivement eu une connaissance suffisante des faits et non pas au moment où il aurait pu ou dû l’avoir.

Enfin, le délai de trois jours commence seulement à courir quand la personne ou l’organe qui dispose des pouvoirs nécessaires pour licencier a cette connaissance suffisante des faits.

Dans une affaire qui concernait une société anonyme au sein de laquelle le pouvoir de licencier du personnel n’avait pas été délégué à une personne spécifique, la Cour du travail de Liège[3] a jugé que la connaissance des faits doit intervenir dans le chef du Conseil d’administration valablement réuni. Le fait que certains administrateurs les connussent déjà préalablement n’a pas fait courir le délai de trois jours.

 

Le respect des règles de forme lors de la notification

L’employeur doit tout d’abord veiller à notifier correctement le licenciement pour motif grave.

Bien que la notification verbale de la rupture du contrat de travail soit tout à fait légale, il est toujours conseillé à l’employeur, en vue d’éviter des difficultés de preuve, de notifier la rupture par un écrit daté et signé envoyé par recommandé ou remis en main propre avec accusé de réception.

Quant à la notification du motif grave, un écrit est toujours obligatoire. Ainsi, à peine de nullité, cette notification doit se faire :

  • soit par courrier recommandé à la poste,
  • soit par exploit d’huissier de justice,
  • soit par la remise d’un écrit à l’autre partie dont un double doit être signé par le destinataire.

L’employeur doit ensuite être attentif aux éléments suivants :

  • Si la rupture du contrat de travail et le motif grave sont notifiés dans le même écrit, les modalités légales de notification énoncées ci-avant devront scrupuleusement être respectées.
  • Aucun autre mode de notification n’est accepté de telle sorte que la notification du motif grave par fax, par taxi-post ou par e-mail ne sera pas régulière.
  • L’écrit doit être signé par son auteur, son absence étant génératrice d’insécurité juridique.
  • La notification doit être envoyée à l’adresse exacte du travailleur, à supposer que le travailleur ait informé l’employeur de son éventuelle nouvelle adresse.
  • La réglementation linguistique doit être respectée lors de la notification de la rupture et du motif grave. Selon le cas, la notification du congé et du motif grave doit être rédigée en français, en néerlandais ou en allemand.
  • Le motif grave doit être exprimé avec une grande précision afin de permettre non seulement au travailleur de savoir avec précision ce qui lui est reproché, mais également au juge qui serait appelé à contrôler la réalité du motif grave à examiner si le motif invoqué est suffisamment grave pour justifier le licenciement immédiat sans préavis, ni indemnité. On ne pourra donc qu’insister sur la nécessité d’être extrêmement précis dans la description des faits constitutifs du motif grave, quand bien même ceux-ci seraient délicats. L’employeur ne pourra pas se limiter à faire référence à « un comportement inacceptable » ou « à la grossièreté intolérable » du travailleur sans autre précision, ni même qu’il ne pourra faire référence à « un document attestant d’un vol » non retranscrit et non soumis au travailleur[4]. Une formulation trop générale et imprécise ne sera pas acceptée.

L’enjeu est de taille. Le non-respect de ces formalités rendra la notification irrégulière et constituera pour le travailleur la voie royale pour prétendre au paiement d’une indemnité de rupture, sans que le juge ne doive examiner la réalité ou la gravité des motifs invoqués.

 

[1] C.T. Liège, 12 novembre 2015, R.G. 2014/AN/54.

[2] Cass., 15 juin 2015, S.13.0095.N, www.juridat.be.

[3] C.T. Liège, division Namur, 21 avril 2015, R.G. 2013/AN/149.

[4] T.T. Bruxelles, 12 février 2015, R.G. 13/9118/A. Dans le même sens : C.T. Mons, 21 décembre 2015, R.G. 2014/AM/406.

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