Jean-Philippe Cordier
Avocat associé
Maître de conférences ULB-UCL-Ichec Entreprises
La gestion des ressources humaines s’est depuis plusieurs années particulièrement compliquée en grande partie à la suite de la généralisation des risques psychosociaux au travail, mais également par l’apparition de nouveaux risques psychosociaux.
Cette tendance s’explique en grande partie par les changements majeurs intervenus au cours de la dernière décennie dans l’activité économique et la vie sociale, à savoir les nouveaux modes de production, les nouvelles technologies, les nouveaux modèles de rentabilité, les nouveaux modes de vie ou encore l’intensification du travail et la précarisation des liens d’emploi.
Quels sont les nouveaux risques ?
L’actualité récente a fait ressurgir et mis en lumière d’anciens risques que l’on croyait disparus : le harcèlement sexuel et les comportements sexistes au travail. De tels comportements gangrènent les relations de travail qu’ils soient le fait de supérieurs hiérarchiques, de collègues de travail ou d’externes à l’entreprise. Verbal ou non verbal, tout comportement à connotation sexuelle est inadmissible s’il est inaccepté, déplacé ou blessant à l’égard de la personne qui en fait l’objet. L’affaire Weinstein et la réaction qui s’en est suivie par le mouvement « mee too » a également eu ses conséquences dans le domaine des relations du travail. Alors que par le passé, les victimes renonçaient souvent à déposer plainte par manque de preuve ou peur des conséquences, la situation a évolué et certaines osent parler, alors que ces comportements sont parfois banalisés ou considérés comme des « gamineries d’adolescents attardés ».
De plus en plus de travailleurs ont recours à des substances psychoactives pour être en forme au travail. Si la consommation d’alcool sur le lieu de travail semble avoir régressé, il n’en est pas de même de la consommation de produits stimulants et dopants. Peur de l’échec, sentiment de vouloir être à la hauteur et toujours performant, il arrive que des travailleurs utilisent diverses drogues ou médicaments pour rendre leurs réunions moins stressantes ou avoir suffisamment d’énergie pour y faire face. Se doper au travail pour mieux faire face aux contraintes est une réalité de plus en plus fréquente. Peu d’employeurs en sont conscients dès lors que ce phénomène est connu, mais peu osent le prendre à bras le corps. La prévention des addictions et autres assuétudes au travail doit également être une priorité.
Enfin, de nouveaux risques comme l’addiction aux nouveaux outils informatiques ont attiré l’attention sur les conséquences parfois dramatiques que cela pourrait entraîner : stress, burnout, suicide au travail.
Quelle est la réaction du législateur ?
Les législateurs belge et français ont introduit en droit le nouveau concept de déconnexion. Si la France a opté pour un véritable droit à la déconnexion, la Belgique a en revanche opté pour un choix moins contraignant. L’idée du législateur est que l’employeur organise une concertation avec les représentants des travailleurs ou avec les travailleurs eux-mêmes au sujet de la déconnexion du travail et de l’utilisation des moyens de communication digitaux.
Cette réflexion d’ensemble devrait permettre d’assurer le respect des temps de repos, des vacances annuelles et des congés des travailleurs et de préserver l’équilibre entre le travail et la vie privée. En raison des moyens actuels de communication (smartphones, tablettes, internet), les travailleurs restent plus souvent connectés, également en dehors des heures normales de travail. Ce constat implique un effacement progressif de la frontière entre vie professionnelle et vie privée et pourrait mener à plus de stress et, par conséquent, à davantage de cas de burnout.
L’idée de la loi est de conclure au sein de l’entreprise des accords clairs sur l’utilisation des moyens de communication digitaux et la possibilité de déconnexion digitale, concrétisés le cas échéant dans le règlement de travail ou dans une CCT d’entreprise. Il s’agirait d’établir des règles de conduite, des solutions techniques, en fonction de l’entreprise et de ses travailleurs. Le législateur n’instaure pas un droit à la déconnexion en tant que tel, mais inscrit dans la réglementation l’obligation, pour l’employeur, d’organiser une concertation au sein du CPPT.
Quelle est la place de la notion de bien-être au travail ?
C’est au travers de la gestion active de la prévention du bien-être au travail que les employeurs doivent mettre en place différentes mesures pour lutter contre ce qui gangrène de plus en plus les relations humaines dans les entreprises.
L’organisation du travail et ses composantes (contenu, conditions, relations interpersonnelles) commencent à être remises en question à partir du moment où l’employeur peut agir et qu’elles comportent objectivement un danger.
Avec l’adoption du code sur le bien-être au travail et surtout les règles bien établies contenues dans le code pénal social en cas d’infractions aux dispositions en matière de bien-être au travail, il devient de plus en plus important pour les employeurs d’être conscients des risques qu’ils courent à ne pas vouloir prendre les mesures nécessaires. Les mesures de prévention prévues dans la réglementation n’étant apparemment pas suffisantes, on constate depuis plusieurs mois un recours de plus en systématique au droit pénal et aux dispositions pénales du code du bien-être au travail. Certains mettent en cause la responsabilité de l’employeur pour non-assistance à personne en danger ou non-prise de responsabilité dans le cadre de risques psychosociaux rencontrés par des travailleurs.
Les entreprises devraient être incitées à réfléchir à ces problématiques et le code pénal social sanctionne par ailleurs celles qui n’auraient pas pris les mesures utiles et nécessaires afin d’éviter la survenance de tels risques.
Une prise de conscience s’impose. C’est à ce prix que les entreprises réussiront le pari du bien-être au travail.
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