La différence entre les meilleurs «performers» et le commun des mortels tient souvent en une poignée de méthodes utilisées avec discipline et sérieux. Les meilleurs sportifs, artistes, créatifs, ingénieurs, architectes et entrepreneurs, de Elon Musk à Frédéric Mazzella de BlablaCar se distinguent par les process qu’ils mettent en place pour penser plus vite, optimiser leur temps, et structurer leurs équipes de façon similaire.
Une de ces techniques est le brainstorming – une technique qui a pour objectif de générer extrêmement rapidement des idées et solutions à un problème précis.
Pourtant dans 9 cas sur 10 – le brainstorming comme méthode de création d’idée ultra-rapide (“d’idéation”) se transforme en une bataille d’égo entre membres d’une équipe qui tentent de s’imposer mutuellement leurs opinions – et le brainstorming génère plus de conflits, tensions et incertitudes qu’il n’en résout. Cela devient souvent une perte de temps et d’argent, là où l’exercice était censé générer une nouvelle impulsion. Et dans le cas où pleins d’idées sont tout de même mises sur la table, cela devient vite une pile de post-its inutiles parce que personne ne sait apprécier quelle solution est réellement efficace. Le brainstorming génère trop souvent tension et incertitude.
Alors comment expliquer que la majorité des professionnels dont la mission au jour le jour est de développer des idées et de les vendre continuent à utiliser le brainstorming pour arriver à des résultats exceptionnels, pouvant guider des projets de plusieurs millions d’euros ? Les agences de publicité et de communication en font partie, et leur secret réside en la méthode utilisée.
Une de ces méthodes se pratique en 1 simple round de 4 minutes + un round de 10 minutes de présentation, suivi d’un round de classification. La classification est la partie centrale du processus et fait toute la différence entre un brainstorming inutile et un brainstorming puissant. Il s’agit d’une méthode simple à comprendre, simple à mettre en place et qui considère le brainstorming comme un point central de la stratégie.
Comment reproduire cette technique dans toute entreprise ? C’est le sujet de cet article.
- Remplacer le brainstorming de mots avec du brainstorming d’écriture : le brainwriting.
La première erreur commise en brainstorming est de penser qu’il s’agit de débattre de quelques idées entre soi. On se rend dans la salle la plus créative, on s’invente une technique et on demande à tout le monde s’il a une idée. Or, commencer par parler d’idées c’est se limiter à plus ou moins 3 idées, là où commencer par écrire peut augmenter le rendement de plus de 1000%.
Cas typique : quelqu’un prend la parole et expose une idée, quelqu’un d’autre donne son avis, et au fur et à mesure une ou deux idées moyennes émergent. Dans la majorité des cas cela prend 40 minutes, frustre tous ceux qui n’ont pas envie de parler par peur du ridicule ou de s’opposer à la personne qui parle le plus fort dans le groupe. En d’autres termes, c’est un débat stérile entre 2 ou 3 membres du groupes, pour arriver à 2 ou 3 idées inapplicables ou sans impact parce que complètement moyennes et consensuelles. Si éventuellement vous avez la chance d’être un homme grand, blanc, de 30 ans, vous partez avec une marge d’avance psychologique pour imposer votre opinion.
Autre cas de figure : Une personne au tableau note les “mots” proposés par les autres. Il s’agit cette fois d’une intense session d’écriture au tableau, et comme un camp de boyscouts où tout le monde aurait voix au chapitre, la session termine avec 50 mots inutilisables sur un grand tableau blanc, une note du chef de projet expliquant que c’était une session super intéressante, et absolument aucune possibilité de faire quelque chose des résultats.
Du point de vue de professionnels qui utilise la technique au jour le jour, il n’y a rien de plus anti-professionnel que des amateurs essayant d’organiser un brainstorming. C’est une perte de temps, une perte d’argent et c’est d’un ridicule extrême.
En fait, les bonnes idées ne sont jamais que l’application de 2 paramètres, et c’est ce que personne ne nous apprend avant d’organiser un brainstorming :
1) le premier principe est que pour avoir quelques bonnes idées, il faut d’abord avoir beaucoup de mauvaises idées. C’est ici la loi de Pareto qui s’applique – 80% du succès vient de 20% du travail – mais pour arriver à ces 20% il faut d’abord passer par le fait de jeter 80% du travail.
Dans les années 90 une expérience de design a été ainsi menée aux USA avec deux groupes, lors d’un cours de poterie. Le premier groupe avait comme mission de produire le plus beau pot en 24 heures, en dédiant tout son temps et attention à créer l’objet parfait. De l’autre côté, le 2nd groupe avait comme mission exclusive de produire le plus grand nombre de pots possible. 24h après on comparait les résultats – et que découvrait-on ? Le groupe qui avait comme mission de produire le plus beau pot était arrivé à un résultat satisfaisant pour des débutants. Et l’autre groupe ? Avec en moyenne plus de 60 pots produits par personne en 24h, les pots des dernières séries étaient devenus des objets de plus en plus proches de la perfection. La discipline et la constance, en seulement 24h, avait transformé des débutants en machines industrielles.
C’est ce que font les créatifs en design, agences de publicités et autres métiers créatifs: ils se trompent suffisamment de fois pour trouver des solutions exceptionnelles.
Le principe qui s’applique est ainsi que: « la quantité est plus importante que la qualité ». Dans une réunion de brainstorming l’organisateur doit le rappeler entre chaque tour – c’est un point fondamental.
« La quantité est plus importante que la qualité lorsque l’on génère des idées. »
2) le second principe est qu’il faut pouvoir être sûr de pouvoir juger ce que l’on considère comme “une bonne idée” après coup. Il faut donc trouver un critère objectif pour pouvoir classer ces idées – sinon cela revient à avoir des opinions et nous renvoie dans les cordes du débat stérile. Il s’agit donc d’utiliser une méthode objective pour cela.
Dans cet article nous allons donc utiliser une technique de brainstorming appelée “brainwriting” et démontrer son efficacité pour adresser n’importe quel problème – qu’il s’agisse de trouver une idée créative pour une campagne de communication à 500.000 euros, se décider où partir en vacances ou quelles sont les étapes sur lesquelles se focaliser pour avancer dans un projet d’ingénierie. Et nous allons dans un deuxième temps classer ces idées.
- La Méthode, pas à pas :
Commençons par le brainwriting. Il s’agit de s’équiper d’une petit pile de post-its, distribuer ces post-its entre tous les participants, ainsi qu’un gros marqueur (une vingtaine de post-its par participants).
La règle est simple: en 4 minutes, et en utilisant un timer sonore – comme celui du téléphone de l’organisateur – les participants doivent produire le maximum d’idées sur un sujet précis. Une seule idée par post-it, écrit en gros pour pouvoir être lue à 3 mètres de distance. Le compteur est lancé après avoir rappelé la question à résoudre et le fait que la “quantité est plus importante que la qualité”.
La moyenne de génération est en général entre 6 à 7 idées par personne, avec des pics à 15 pour des personnes entraînées. Pour un groupe de 6 personnes cela donne un output de plus de 40 idées. Si l’on compare cela avec un brainstorming “parlé”, on a une augmentation de plus de 1000% du nombre d’options.
Parmi celles ci sont mélangées des options viables et d’autres complètement à côté du projet – mais pour pouvoir l’évaluer il faut savoir comment les classer. Rappelons nous au passage que plus il y a d’idées “à côté” et plus il y a de chance d’avoir des propositions parfaitement efficaces.
On demande ensuite à chaque participant de se lever et de venir lire, une à une, ses idées. Il faut pouvoir forcer ici les gens à parler rapidement au groupe, sans perdre de temps. On colle cette idée sur une surface que tout le monde peut voir et relire. Chaque participant écoute et n’a pas le droit à la parole. Si une autre idée leur vient, ils l’écrivent sur un post-it en silence et le garde pour eux jusqu’à ce que leur tour de parole se présente.
Une fois tous les membres du groupe passé, on a généralement 40 ou 50 idées, dont une trentaine originale. Toutes les idées redondantes sont mises de côté pour faciliter la classification.
En général à cette étape on commence à comprendre l’importance de la technique et à oublier chaque personnalité derrière les propositions. Celles-ci commencent à devenir des propositions du groupe et non plus de Pierre, Sophie et Marc.
- Que faire maintenant ?
Les équipes créatives de haut niveau (constituées de gens payés pour résoudre des problèmes de façon créative ou innovante) organisent en général un second tour du même type pour épuiser toutes les options. On peut donc refaire donc un tour de 4 minutes, et on observe ici en général un output d’environ une vingtaine de nouvelles idées pour un groupe de 6. Pour cet exercice, nous gardons un seul tour.
Vient ensuite le moment le plus central, et le plus oublié : la classification.
Pour classifier les idées nous devons trouver un critère parfaitement objectif – qui ne soit pas lié à la personne qui a produit l’idée. Pour cela, l’organisateur du brainstorming va utiliser une matrice à deux axes. L’un est l’IMPACT de l’idée, l’autre est son COÛT.
« Sans carte mentale pour évaluer les options, un être humain se focalise sur la valeur de sa propre opinion. »
Chaque idée peut-être donc classée objectivement selon 2 axes. Un d’impact, et un de coût. C’est parce qu’il s’agit d’un classement objectif et que personne ne peut contredire qu’on évite la discussion stérile et que l’on renforce la certitude de faire le bon choix – voyons comment:
COÛT
On considère comme coût à la fois le coût en temps, « combien de temps réellement devons nous dédier pour mettre en place cette proposition ? », en étant conscients des compétences de l’équipe et de leurs agendas. On considère également le coût en argent lorsqu’il y a besoin d’impliquer d’autres personnes extérieures. L’équation ici est simple : lorsque l’on n’a pas de temps, on doit avoir de l’argent pour embaucher un prestataire qui a le temps.
L’objectivité vient de la réelle évaluation de ce coût – et il ne s’agit pas de faire de cadeau. Si la dernière vidéo produite en interne a pris 6 mois et a fait 400 vues, il s’agit d’inclure le coût réel de faire une nouvelle vidéo – idem pour l’adoption d’un nouveau mode de gestion de projet, changer de supplier ou prospecter un nouveau marché.
IMPACT
En ce qui concerne l’impact, il s’agit de classifier selon l’axe vertical – et positionner où se trouve réellement l’impact d’une idée.
Disons que TOTAL décide de résoudre le problème suivant: « comment convaincre les gens de venir dans nos stations spécifiquement et d’attendre 100 kilomètres sur l’autoroute pour pouvoir trouver “la” station TOTAL » ?
Une idée du type :
« campagne TV sur toute la France à 20h » – est une idée impactante – avec un reach de plusieurs millions de personnes potentiels – et avec un bon spot TV on peut imaginer convaincre plusieurs milliers de personnes de faire ce choix. Le coût ? 6 mois de conception et production au minimum, avec l’appui d’une agence de communication, 2 millions d’euros de passage TV pour une semaine, et 20 personnes impliquées sur le projet, du project manager au directeur de la communication. C’est donc une idée impactante mais qui a également un coût important.
Au contraire, une autre idée du type :
» demander à tous les employés de TOTAL sur les aires d’autoroute de dire au consommateur qu’il a fait le bon choix et que c’est une super idée de revenir » a un coût réduit (demander aux employés de faire l’action n’implique par une augmentation de salaire, et cela leur prendra en moyenne 20 secondes. pour chaque client remercié); mais cette proposition a également un faible impact pour attirer de nouveaux utilisateurs.
On peut donc classifier objectivement ces idées :
On se retrouve avec un classement parfaitement objectif.
Que choisir alors ?
La situation optimale est d’avoir quelques idées dans le coin haut / gauche – c’est à dire faible coût et fort impact. C’est la situation rêvée.
Toutes les idées qui ont par contre un coût élevé et un faible impact peuvent être gentiment déposées dans la corbeille en papier, en accord avec le groupe.
- La réalité ?
La plupart des idées se concentrent au milieu et le choix devient difficile.
On génère toujours à 80% des propositions qui sont à impact moyen et coût moyen. Ce sont d’ailleurs les mêmes qui auraient pu être générées durant un “faux” brainstorming où chacun s’affronte en parlant. Ici au lieu de 3 nous en avons 30, mais le principe est similaire.
La différence entre une équipe rodée professionnellement à cet exercice et une équipe amateur qui s’invente une technique, c’est qu’un professionnel sait pertinemment qu’en répétant l’exercice plusieurs fois, une idée en haut à gauche apparaîtra.
En travaillant également certaines idées qui “passionnent” plus le groupe, on peut progressivement faire migrer des propositions du centre, vers le coin haut/gauche. C’est un bon indicateur par ailleurs, plus les membres du groupe se passionnent naturellement pour une idée, plus son impact se renforce et le coût se réduit – en effet, la passion rend progressivement possible ce qui paraissait au départ tout à fait pesant (« encore un projet »… devient … « wow! un projet »).
C’est cette discipline de génération de concepts qui peut se transmettre et s’apprendre et qui petit à petit va transformer radicalement une entreprise. La plus important société de design industriel – IDEO – appelle cela “Creative Confidence” – et c’est une technique qui fusionne parfaitement avec un processus “Agile” de “Design Thinking”. La vérité est que toutes les professions créative utilisent une variante de ce processus, qui désormais s’installe dans les plus grandes compagnies dans le monde, de Google à Salesforce.
- Brainstormer seul :
Si vous deviez choisir votre prochaine carrière ou vos prochaines vacances, en utilisant exactement ce système, même seul, vous auriez une longueur d’avance exponentielle sur toute autre méthode. Un copywriter qui écrit des concepts de pub travaille ainsi généralement seul avec une variante de cette méthode.
Il s’agit pratiquement de s’équiper d’un bloc de post-its à 4 euros, un marqueur à 1euro et de son smartphone pour établir le temps. En vous obligeant à penser ainsi, et en bloquant simplement 30 minutes dans votre agenda, vous seriez seulement à 4 minutes d’”idéation” et 10 minutes de classement d’une idée qui peut radicalement transformer votre vie ou votre entreprise.
Le Brainstorming n’est pas une technique pour rire ensemble durant un team building, c’est une des techniques les plus puissantes pour extraire des concepts stratégiques et créatifs d’un cerveau humain.
Charlélie Jourdan est le directeur créatif de l’agence de communication OLD-CONTINENT- www.oldcontinent.eu qui sert des clients tels que la Commission Européenne, Google, Intel, WWF et le Parlement européen. Il a animé plus de 100 réunions de brainstorming et enseigne notamment à Sciences-Po. Il a coaché plus de 500 professionnels au sein du réseau Abilways, en français, anglais et espagnol. Il est actuellement basé à Madrid et impliqué dans le développement et le conseil de Startups, ainsi que la création de la branche consulting d’OLD-CONTINENT – qui a comme mission de transférer à leurs clients l’expérience acquise durant plus de 300 projets et campagnes de communication.