Motivation du licenciement des contractuels dans le secteur public : la Cour constitutionnelle s’en mêle également (C. const., arrêt n°101/2016 du 30 juin 2016)

Vincent VuylstekeVincent Vuylsteke
Avocat
Van Olmen et Wynant

I. Rappel de la problématique

Abordée à de multiples reprises lors des journées de formation et dans les lettres d’information d’IFE, la problématique de la motivation des licenciements des agents contractuels du secteur public n’en finit pas de connaître des rebondissements.

Après une controverse de plusieurs années, la Cour de cassation a décidé, le 12 octobre 2015, que ni la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs, ni le principe de droit administratif « audi alteram partem » (principe d’audition préalable) ne s’appliquaient aux licenciements des travailleurs contractuels du secteur public. La Cour de cassation suivait ainsi la thèse défendue par la majorité de la doctrine et de la jurisprudence néerlandophone, laquelle s’opposait à la thèse de l’application de la loi de 1991 et du principe « audi alteram partem ». Au contraire, la thèse de l’application de ces principes emportait le plus souvent l’adhésion des auteurs et des juridictions francophones (pour un commentaire de la décision de la Cour de cassation, un aperçu des thèses en présence et une réflexion quant à l’avenir, voyez S. De Somer, V. Vuylsteke, « De Wet Motivering Bestuurshandelingen en het ontslag van de overheidscontractant : het langverwachte oordeel van het Hof van Cassatie en een blik op de toekomst », Tijdschrift voor Gemeenterecht, 2016, à paraître prochainement).

L’arrêt de la Cour de cassation ne constituait, de toute manière, pas la fin de l’histoire.

Concernant l’audition (qui ne constitue pas l’objet de la présente contribution), on rappellera simplement qu’il doit y être procédé lorsqu’elle est prévue par un texte spécifique et qu’elle permet en tout état de cause, dans certains cas, de vérifier la réalité des motifs envisagés pour le licenciement.

Quant à la motivation, l’article 38 de la loi du 26 décembre 2013 concernant l’introduction d’un statut unique entre ouvriers et employés invite le législateur à instaurer, pour les entreprises ne relevant pas du champ d’application de la loi du 5 décembre 1968 sur les conventions collectives de travail et les commissions paritaires (soit la majorité du secteur public), un régime de motivation des licenciements « analogue » à celui existant pour les entreprises relevant de cette loi. Pour ces entreprises (à savoir,  celles relevant du secteur privé pour l’essentiel, mais également certaines entreprises publiques nommément désignées comme la Loterie Nationale), la Convention collective de travail (CCT) n°109, rendue obligatoire par le Roi, prévoit l’obligation pour l’employeur de communiquer les motifs du licenciement si le travailleur les demande (et que le licenciement entre dans le champ d’application de cette CCT n°109, ce qui n’est pas le cas par exemple d’un licenciement collectif). À défaut, l’employeur est redevable d’une amende civile correspondant à deux semaines de rémunération et l’absence de communication des motifs a une influence sur la charge de la preuve du caractère manifestement déraisonnable du licenciement, c’est-à-dire le licenciement « qui se base sur des motifs qui n’ont aucun lien avec l’aptitude ou la conduite du travailleur ou qui ne sont pas fondés sur les nécessités du fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou service, et qui n’aurait jamais été décidé par un employeur normal et raisonnable » (article 8). La notion de licenciement manifestement déraisonnable constitue le cœur du système de contrôle instauré par la CCT n°109. Si un tel licenciement manifestement déraisonnable est reconnu, l’employeur est redevable d’une indemnité correspondant au minimum à trois semaines de rémunération et au maximum à dix-sept semaines de rémunération (article 9).

L’article 38 de la loi du 26 décembre 2013 prévoit que tant que ce régime de motivation « analogue » n’est pas introduit pour les entreprises ne relevant pas du champ d’application de la loi du 5 décembre 1968, l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail continue de s’appliquer (présomption de licenciement abusif pour les ouvriers, ce qui implique notamment que la charge de la preuve repose sur l’employeur). Or, cet article a été déclaré comme étant contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution dans l’arrêt n°187/2014 du 18 décembre 2014 de la Cour constitutionnelle, dès lors qu’il crée une distinction injustifiée entre ouvriers et employés. Dans son arrêt n°187/2014, la Cour avait pris soin de maintenir les effets de l’article 63 jusqu’à l’entrée en vigueur de la CCT n°109 (le 1er avril 2014), limitant ainsi les effets de son arrêt pour le secteur privé, mais pas pour le secteur public auquel cet article s’applique donc toujours.

Le secteur public se trouve donc dans une situation empreinte d’une grande confusion, en l’absence d’une intervention législative : l’article 63 s’applique toujours formellement aux ouvriers, mais il a été déclaré inconstitutionnel. Les questions se posent dès lors de savoir si les ouvriers du secteur public peuvent encore invoquer le bénéfice de cette disposition et si les employés peuvent revendiquer une application de l’article 63 ?

II. Arrêt de la Cour constitutionnelle n°101/2016 du 30 juin 2016

Interrogée sur l’existence d’une discrimination entre ouvriers et employés dans le secteur public, la Cour constitutionnelle confirme, sans surprise, la violation des articles 10 et 11 de la Constitution. Elle se réfère à son arrêt n°187/2014 et observe que ce constat s’impose d’autant plus que le législateur a désormais prévu un régime unique de délais de préavis, depuis l’adoption de la loi du 26 décembre 2013.

Pour ce qui est des effets de cette discrimination, la Cour refuse la demande formulée par le Conseil des ministres de maintenir les effets de l’article 63 après le 31 mars 2014. Visiblement agacée par le laxisme législatif en la matière, elle souligne qu’il appartient au législateur d’adopter « sans délai » un régime de protection contre les licenciements manifestement déraisonnables dans le secteur public (ou, plus exactement, dans les entreprises ne relevant pas du champ d’application de la loi du 5 décembre 1968).

La Cour s’oppose au maintien de l’application de l’article 63, et ce même pour les ouvriers. Elle précise, à la fin de son arrêt, que « dans l’attente de l’intervention du législateur, il appartient aux juridictions, en application du droit commun des obligations, de garantir sans discrimination les droits de tous les travailleurs du secteur public en cas de licenciement manifestement déraisonnable, en s’inspirant, le cas échéant, de la Convention collective de travail n°109 ».

III. Perspectives pour le futur

Les mois à venir nous diront si le législateur sera plus enclin à intervenir à la suite de l’invitation à agir « sans délai » formulée par la Cour constitutionnelle, qu’il ne l’a été après l’arrêt de la Cour de cassation du 12 octobre 2015.

À cet égard, à notre estime, le législateur pourrait simplement réaliser un « copier-coller » des principes de la CCT n°109, en prévoyant une motivation formelle sur demande et un contrôle encadré du fond de la décision. Nous ne pensons pas que le principe de la motivation formelle dans l’acte même doive nécessairement être prévu s’agissant des travailleurs contractuels du secteur public, ni que ce principe ressortirait d’une quelconque obligation internationale, comme certains le plaident actuellement (voyez S. Gilson, F. Lambinet, Z. Trusgnach, Les obligations particulières de l’employeur public lors du licenciement des travailleurs contractuels – Les méandres de la doctrine et de la jurisprudence à la croisée des droits administratif et social, Limal, Anthémis, 2016, p. 75). En particulier, l’existence d’un délai de recours beaucoup plus important pour les agents contractuels (qui disposent d’un délai d’un an pour saisir le tribunal du travail après la cessation du contrat, en application de l’article 15 de la loi du 3 juillet 1978) que pour les agents statutaires (qui doivent en principe saisir le Conseil d’État d’un recours dans les soixante jours), peut justifier qu’une motivation sur demande, et non d’initiative, soit prévue.

En tout état de cause, la discussion concernant le caractère « d’office » ou non de la motivation formelle nous paraît assez secondaire en comparaison avec le vrai problème actuel, qui est l’absence de clarté quant au mécanisme de contrôle du fond des décisions de licenciement de travailleurs contractuels du secteur public. Même si cela ne nous paraît pas nécessaire, nous n’avons pas d’objection à ce que le législateur impose aux employeurs publics de motiver les licenciements dans l’acte même. Il faut surtout que cette discussion quant à la forme de la motivation formelle (sur demande ou d’initiative) ne constitue pas un obstacle à ce que le législateur intervienne rapidement pour encadrer le contrôle du fond de la décision, car la confusion a assez duré pour le secteur public.

Entre-temps, les décisions des juridictions du travail « s’inspirant » de la CCT n°109 seront attendues avec impatience. On peut penser que c’est surtout au niveau de l’évaluation du dommage (entre trois à dix-sept semaines de rémunération selon la CCT n°109) que les juridictions le feront, anticipant ainsi peut-être la future et assurément fort attendue intervention législative…

Cet arrêt sera analysé également lors de la demi-journée consacrée à la fonction publique organisée par IFE le 1er décembre 2016 à Bruxelles.

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