L’exclusion des acquisitions et locations des biens immeubles par les pouvoirs publics, les enseignements de la jurisprudence

François Moïses
Avocat
Elegis

L’article 28, §1 de la loi du 17 juin 2016 relative aux marchés publics transposant l’article 10, a), de la directive 2014/24UE sur la passation des marchés publics prévoit une exclusion spécifique pour les marchés de services : « Ne sont pas soumis à l’application de la présente loi, sous réserve du §2, les marchés publics de services ayant pour objet : 1°. L’acquisition ou la location quelles qu’en soient les modalités financières, de terrains, de bâtiments existants ou d’autres biens immeubles ou concernant des droits sur ces biens. »

Notre analyse portera sur la portée de cette exclusion à la lumière de la jurisprudence au travers de trois décisions : l’arrêt KölnMessede la C.J.U.E., C536/07 du 29 octobre 2009 ; l’arrêt Impresa Pizzarotti c/ Commune di Bari de la C.J.U.E., C213/13 du 10 juillet 2014 et l’arrêt rendu par le Conseil d’État belge dans le cadre de l’affaire de la « Silver Tower », Fedimmo c/ Région de Bruxelles Capitale du 23 octobre 2018, n° 242.755.

L’exclusion ne concerne pas la cession de biens publics

L’exclusion spécifique de l’article 28, §1 vise l’acquisition ou la location, par un pouvoir adjudicateur, d’un bien immobilier qui ne lui appartient pas et non des opérations immobilières par lesquelles un pouvoir adjudicateur cède un bien immobilier qui lui appartient à un opérateur économique.

Dès lors, la problématique des cessions immobilières d’actifs publics avec charges d’intérêt général ne relève pas de cette exclusion.

L’exclusion ne peut viser des ouvrages inexistants

Suivant les trois décisions commentées, il faut considérer que l’exception ne peut pas viser des ouvrages dont la réalisation n’a pas débuté.

La référence faite à l’article 28, §1, 1° à « d’autres biens immeubles » vise des biens d’une nature autre que des terrains et bâtiments, et non des biens non encore réalisés (conclusions de l’avocat général Nils Wahl du 15 mai 2014 dans l’affaire C-213/13 Impresa Pizzarotti / Commune di Bari, pt. 60).

Risque de requalification de l’opération immobilière en marché public de travaux

Les trois décisions de la Cour de justice et du Conseil d’État belge qui font l’objet de notre analyse portent sur les opérations de location à long terme portant sur des ouvrages futurs dont la réalisation n’est pas entamée au moment de la conclusion du contrat.

Il s’agit dans l’affaire KölnMesse de halls d’exposition sur le site de la Foire de Cologne ; dans l’affaire Impresa Pizzarotti du nouveau palais de justice de Bari et dans l’affaire du projet « Silver Tower » d’une tour de bureaux de trente-quatre étages destinée au regroupement des agents du service public de la Région Bruxelloise.

Dans chaque affaire, l’opération qualifiée de location immobilière par le pouvoir adjudicateur a été requalifiée en marché public de travaux suivant un raisonnement similaire.

Tant la Cour de justice que le Conseil d’État ont considéré que le contrat ne pouvait avoir comme objectif immédiat la location d’immeubles dont la construction n’avait pas encore commencé. Dans la mesure où la construction précède nécessairement la location, elle constitue l’objet principal du contrat.

Toutes les opérations relatives à un ouvrage en l’état futur d’achèvement ne constituent pas nécessairement un marché public – le critère des exigences fixées par le pouvoir adjudicateur doit être vérifié.

Cette jurisprudence ne doit toutefois pas être considérée comme une condamnation pure et simple de toute opération immobilière par laquelle un pouvoir public acquiert ou prend en location un immeuble en l’état de futur d’achèvement qui devrait nécessairement et systématiquement être requalifié en marché public de travaux.

En effet, il faut relever que dans ces trois affaires, la Cour de justice et le Conseil d’État belge prennent le soin d’examiner avant de conclure à l’existence d’un marché public si tous les éléments de la définition du marché public de travaux visés à l’article 2, 18° de la loi sont réunis.

Un tel contrat à titre onéreux doit avoir pour objet : soit l’exécution, soit la conception et l’exécution de travaux visés à l’annexe I ou d’un ouvrage, soit la réalisation par quelque moyen que ce soit d’un ouvrage « répondant aux exigences fixées par l’adjudicateur qui exerce une influence déterminante sur sa nature ou sa conception ».

Cette condition des exigences fixées par l’adjudicateur doit être remplie.

Dans l’affaire KölnMesse, la Cour constate que les ouvrages ont été réalisés conformément aux spécifications très détaillées de la Ville de Cologne qui vont bien au-delà des exigences habituelles d’un locataire à l’égard d’un nouvel immeuble d’une certaine envergure (pt 58 de l’arrêt).

Dans l’affaire Impresa Pizzarotti c/ Commune di Bari, la Cour précise : « Encore faut-il pour pouvoir conclure à l’existence d’un marché public de travaux… que la réalisation de l’ouvrage projeté réponde aux besoins précisés par le pouvoir adjudicateur » (pt. 43).

La Commune de Bari a précisé les caractéristiques techniques et technologiques de l’ouvrage destiné à accueillir la nouvelle cité judiciaire de Bari en précisant notamment le nombre de bureaux, de salles d’audience, de conférence, de réunion et d’archivage…

Dans l’affaire du projet « Silver Tower », le Conseil d’État prend en compte différents éléments de fait propres à la cause pour conclure que l’immeuble répond aux exigences fixées par le pouvoir adjudicateur : « Quand bien même l’ouvrage à réaliser serait un immeuble de bureaux standard susceptible de répondre tant aux besoins d’un pouvoir public que d’un opérateur privé, le pouvoir adjudicateur a déterminé les exigences relatives à la localisation, l’accessibilité, la surface, les services annexes, le caractère « mono occupant et le délai de mise à disposition En outre, les dates d’introduction des demandes de permis et permis modificatif et l’organisation d’un contrôle de conformité constituent autant d’indices de l’exercice d’une influence déterminante. »

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