Absence d’évaluation préalable des incidences : PRU coulé ? SAR touché ? RRUZ en sursis ?

Thomas Hauzeur
Avocat barreau de Bruxelles
Chargé de cours à l’Executive Master en Immobilier à l’UCL-FUSL

Comme nous l’écrivions dans notre newsletter de février 2018, il n’est plus possible de mener un programme ou un projet sans se confronter à la question de savoir si une évaluation préalable des incidences devrait être réalisée.

L’avocat général auprès de la Cour de justice de l’Union européenne vient encore tout récemment de nous le rappeler dans les conclusions qu’il a rendues, ce 28 janvier 2018, dans deux affaires concernant directement la Belgique, et plus particulièrement les périmètres de remembrement urbain (dénommé ci-après : « PRU ») en Wallonie ([1]), et le règlement régional d’urbanisme zoné (dénommé ci-après : « RRUZ ») en région de Bruxelles-Capitale ([2]).

Ces deux affaires ont la particularité de porter sur des instruments planologiques pour lesquelles tant le législateur wallon que le législateur bruxellois ont cru bon de pouvoir les dispenser d’évaluation des incidences. L’avocat général a un avis nettement plus nuancé, voire pour le PRU, contraire à celui des législateurs régionaux.

Dans la première affaire, la question principale soumise à la Cour de justice est de savoir si un PRU doit être soumis à la Directive plans/programmes ([3]), et dès lors faire l’objet d’une évaluation préalable des incidences, alors :

  • qu’il a pour seul objet de déterminer le contour d’une zone géographique susceptible de voir se réaliser un projet d’urbanisme ([4]);
  • qui doit encore, par ailleurs, faire l’objet de permis d’urbanisme qui nécessitent une évaluation des incidences ?

Dans la deuxième affaire, la question de savoir si le RRUZ aurait dû être soumis à une évaluation des incidences ?

L’avis de l’avocat général peut être synthétisé de la manière suivante.

Il vérifie, tout d’abord, si ces instruments peuvent être qualifiés de plans ou programme au sens de la directive ;

Il précise, ensuite, que la détermination d’un simple périmètre géographique n’est en soi pas suffisant pour s’opposer à une évaluation des incidences ;

Il convient, au contraire, de déterminer les effets de ces instruments pour appréhender la question cruciale de savoir s’ils sont susceptibles d’avoir des effets « notables » sur l’environnement, et ce dans une approche qualitative, et non pas quantitative ;

Pour, enfin, conclure qu’il convient d’appréhender in concreto les effets potentiels de ces instruments sur l’environnement au regard de l’ensemble hiérarchique dans lequel ils s’insèrent, et, compte tenu des données locales concrètes.

Ainsi, l’avocat général constate, tout d’abord, que tant le PRU que le RRUZ doivent être qualifiés de « plans et programmes », au sens de la Directive ([5]).

Il relève, ensuite, que tous les plans et programmes « susceptibles d’avoir des incidences environnementales notables » doivent être soumis à l’évaluation des incidences préalables et que tel est le cas de : « Tout acte qui établit […] un ensemble significatif de critères et de modalités pour l’autorisation et la mise en œuvre d’un ou de plusieurs projets susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement » ([6]).

Selon, le Danemark – intervenu à la cause- un « ensemble significatif de critères et de modalités » supposerait une pluralité de prescriptions qui doivent en outre atteindre un certain poids.

L’avocat général estime pour sa part que le critère ne doit pas être quantitatif, mais qualitatif, en ce sens qu’« il y a donc lieu de considérer que des critères et modalités fixés pour l’autorisation et la réalisation de projets qui ont des incidences notables sur l’environnement constituent un ensemble significatif »

Concrètement, l’avocat général examine alors les effets, même potentiels, du plan/programme visé. Et si, un seul de ces effets est susceptible d’avoir une incidence notable sur l’environnement, une évaluation préalable sera requise.

Dans le cadre de la première affaire, outre la compétence de principe du fonctionnaire délégué et la présomption d’utilité publique permettant éventuellement de justifier une expropriation, l’avocat général relève que le PRU permet surtout de déroger/s’écarter des différentes normes planologiques et urbanistiques en vigueur.

Or, d’une part, ce mécanisme se rapprocherait de l’abrogation d’un plan de secteur, dont la Cour de justice a déjà jugé qu’il serait contraire aux objectifs poursuivis par le législateur de l’Union de considérer ces actes comme exclus du champ d’application de la Directive. Cette position de la Cour de justice est notamment justifiée par le fait que l’abrogation d’un plan de secteur « influerait nettement sur le cadre dans lequel les projets devront être autorisés à l’avenir ».

D’autre part, la demande de PRU doit certes être assortie d’un « projet d’urbanisme » concret, mais, le caractère réglementaire du PRU implique qu’il bénéficiera, sans limitation de temps, à tout projet futur, même non lié au projet d’urbanisme concret initial.

L’avocat général conclut dès lors que : « Un acte juridique qui permet, dans une zone géographique déterminée, d’autoriser des projets en s’écartant des prescriptions de certaines règles urbanistiques, doit être qualifié de plan ou de programme au sens de l’article 2, sous a), de la directive 2001/42/CE relative à l’évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l’environnement lorsque les règles urbanistiques en vigueur, auxquelles il peut être dérogé, s’opposent, compte tenu des données locales concrètes, à des projets susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement ».

On sera très attentif, dans un premier temps, à vérifier si la Cour de justice suivra les conclusions de l’avocat général. Dans l’affirmative, il reviendra au Conseil d’État d’examiner si les effets des PRU sont susceptibles d’avoir des effets notables sur l’environnement, « compte tenu des données locales concrètes » et eu égard à l’ensemble hiérarchique dans lequel le PRU s’inscrit.

En toute hypothèse, ces conclusions confirment à nouveau que l’évaluation des incidences s’avère être le talon d’Achille de nombreux « plans et programmes » et autres « projets », il est donc essentiel de maîtriser les différentes étapes de cette procédure, de connaître les balises juridiques, mais aussi de savoir concrètement comment mener à bien une évaluation des incidences, quels sont les sujets sensibles en fonction de l’objet des plans/programmes ou des projets, comment appréhender le temps qui passe entre le dépôt du plan/programme ou du projet et l’éventuelle participation du public, comment respecter l’exigence d’indépendance de l’auteur d’études d’incidences, comment appréhender les projets qui se développeraient en plusieurs phases, comment respecter l’exigence de devoir examiner des alternatives ou autres solutions de substitution, quelles sont les évolutions intervenues depuis l’entrée en vigueur du CoDT le 1er juin 2017, les conclusions de l’avocat général concernant les PRU sont utiles sont-elles transposables au SAR, – instrument nettement plus utilisé en Wallonie -, … le CoDT ne devrait-il pas lui-même être soumis à évaluation ?

Pour vous aider à maîtriser l’ensemble de ces questions et savoir jusqu’où il faut aller dans l’évaluation préalable des incidences de vos « plans et programmes » ou de vos « projets », nous vous invitons au colloque organisé par IFE, en date du 23 avril 2018, au château de Namur.

[1]   Affaire C–160/17

[2]   Affaire C–671/16

[3]   Directive 2001/42/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 juin 2001 relative à l’évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l’environnement. Dénommé ci-après : « la Directive ».

[4]   Le PRU, régi par l’article du CoDT, est un instrument opérationnel qui porte sur la requalification et le développement de fonctions urbaines et qui nécessite la création, la modification, l’élargissement, la suppression ou le surplomb de la voirie par terre et d’espaces publics

[5]   Voir notamment affaire C–567/10, du 22 mars 2012.

[6]   C 290/15, du 27 octobre 2016, D’Oultremont e.a., point 49.

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