La réforme du paysage hospitalier, quand soigner c’est prévoir

Margaux Kerkhofs
Avocate
EQUAL

 

 

 

Pierre Slegers
Avocat
EQUAL

Un enjeu majeur de l’offre de soins de santé est le coût de ceux-ci. Partout – et la Belgique ne fait pas exception à ce constat – la question du financement des soins et de l’accès aux soins sont intimement liés. En Belgique, cet enjeu se double des défis de la réforme de l’État et de la répartition de la compétence de financement hospitalier, en ce compris la détermination d’une vision politique des soins de santé par le financement de l’infrastructure.

Au niveau de l’État fédéral, la Ministre de la Santé et de la Sécurité Sociale expliquait dans son plan d’approche de réforme du financement des hôpitaux du 28 avril 2015, la nécessité de réfléchir et revoir tant le financement des hôpitaux que l’organisation des soins de santé afin de garantir des soins de santé de qualité et accessible pour tous.

Pour elle, ces deux modifications vont de pair, une meilleure allocation des moyens budgétaires passe par une réorganisation du paysage des soins de santé.

Sur cette base, la Ministre prépare une réforme du paysage hospitalier qui part d’un constat : le système actuel n’est pas tenable sur le long terme. Afin d’assurer aux générations futures des soins de santé de qualité, accessibles et abordables, il convient de modifier le paysage hospitalier et son financement.

Le premier chantier de modification commence avec une modification en profondeur du financement des activités hospitalières. Le second changement implique une modification de la loi sur les hôpitaux pour y inclure la structure en réseau.

La réforme du financement des hôpitaux

À la suite de la sixième réforme de l’État, une partie de la compétence en matière de financement des institutions hospitalières a été transférée aux entités fédérées. Il s’agit du financement de l’infrastructure hospitalière, ainsi que de certains appareillages médico-techniques.

En Flandre, la matière est régie par un arrêté du Gouvernement flamand portant subventionnement des infrastructures hospitalières du 14 juillet 2017. La Région Wallonne a pour sa part adopté un décret relatif au prix d’hébergement et au financement de certains appareillages des services médico-techniques lourds en hôpital en date du 9 mars 2017.

Le reste de la matière reste une compétence fédérale.

La réforme du financement des hôpitaux pensée par la Ministre fédérale se fonde sur un principe de base qui est que les soins hospitaliers se divisent en trois clusters : les soins de basse variabilité, les soins de moyenne variabilité et les soins de haute variabilité.

La première étape de la réforme vise les soins de basse variabilité. Ce cluster vise « les patients exigeant un processus standard de diagnostic et de traitement qui se différencie peu entre patients et entre hôpitaux ».

Le système de financement envisagé prévoit un changement radical en ce qu’il prévoit un montant global prospectif par admission à l’hôpital appelé à remplacer les systèmes actuels de financement[1]. Ce système serait introduit par étapes. Dans un premier temps, il se limiterait aux honoraires, avec pour implication que les prestataires ne seront plus payés par prestation, mais recevront un montant pour l’ensemble des prestations destinées au traitement d’une affection déterminée (indépendamment des soins réellement donnés[2]). Ce montant vise tous les coûts liés à ces prestations de soins.

Dans les étapes suivantes de la modification du système, les autres prestations de santé, les montants établis dans la convention nationale entre les hôpitaux et les institutions de soins, ainsi que le budget des moyens financiers seraient également repris dans le montant global prospectif[3].

La réforme du paysage hospitalier

Depuis 2015, la Ministre fédérale de la santé présente une réforme du paysage hospitalier qui implique la mise en réseau des hôpitaux. L’objectif y est d’assurer une collaboration plus effective entre les hôpitaux assurant ainsi une offre de soins de plus grande qualité, plus rationnelle et plus viable sur le long terme. La clef de cette réforme est la complémentarité des missions de soins entre les hôpitaux d’un même réseau. Cette collaboration se traduit par une participation de chaque hôpital à un réseau locorégional ainsi qu’à un ou plusieurs réseaux suprarégionaux.

Le patient doit tenir une place centrale dans ce nouveau système, l’objectif est d’offrir des soins de santé répondant à la demande de la population cible du réseau.

Une telle modification du système repose sur la distinction de différentes missions de soins de santé : les missions de soins locorégionales – qui doivent être offertes dans chaque réseau – et les missions de soins suprarégionales – qui ne doivent être proposées que par un nombre limité d’hôpitaux (qui proposent ses missions à titre individuel) et donc pas dans chaque réseau locorégional[4]. Dans cette réforme, le principe de complémentarité entre les hôpitaux implique que chaque hôpital du réseau ne proposera pas toutes les missions de soins. Certaines missions seront effectivement proposées dans chaque hôpital du réseau, mais d’autres ne seront proposées que par certains hôpitaux, les hôpitaux du réseau devront donc s’assurer que les patients auront effectivement accès à tous les soins de santé dont ils ont besoin.

Concrètement, il est prévu que chaque hôpital devra faire partie d’un (seul et unique) réseau hospitalier clinique locorégional[5]. Les hôpitaux individuels continuent d’exister individuellement et gardent leur pouvoir décisionnel. Cependant, ils devront mettre en œuvre les décisions prises par le réseau. Ils devront donc aussi permettre cette prise de décisions communes.

À cette fin, le réseau sera doté d’une gouvernance propre, à savoir un conseil médical et un médecin-chef du réseau. Les compétences du réseau sont d’attribution, toutes compétences qui ne sont pas attribuées au réseau restent entre les mains des hôpitaux individuels.

Conclusion

La réforme du paysage hospitalier s’annonce importante. Tant l’organisation que le financement des hôpitaux seraient réformés. Malgré de nombreuses inconnues, les communications de la Ministre de la santé permettent de se préparer à cette réforme. Les ignorer nous semble inenvisageable. Si donc gouverner c’est prévoir, soigner l’est aussi, assurément.

[1]     Actuellement, le financement des hôpitaux s’opère au travers du Budget des Moyens Financiers (BMF) pour les activités non-médicales ; via la nomenclature des soins de santé pour le remboursement des prestations de soins ; via le système des montants de référence pour une série de pathologies courantes et moins sévères ; via un remboursement forfaitaire pour la plupart des spécialités pharmaceutiques.

[2]   Les prestataires de soins restent propriétaires de leurs honoraires. La partie du montant global couvrant ces honoraires sera clairement identifiée au sein de celui-ci. L’hôpital sera propriétaire des autres parties constituant ce montant global (également clairement identifiées).

[3]   Pour autant que ceux-ci concernent les patients concernés.

[4]   Des collaborations entre réseaux devront donc également être créées.

[5]   Le réseau locorégional est une collaboration juridiquement formalisée de deux hôpitaux au moins qui se trouvent dans une zone géographiquement continue, dotée d’une personnalité juridique propre. Vingt-cinq réseaux locorégionaux seront créés, chacun devant couvrir une zone géographique continue.

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