Vers une DLU Quater – où en est-on ?

François Herbecq (photo)François Herbecq
Avocat
Tetralaw

François Herbecq intervient dans le cadre de la conférence DLU IV le 14 juin à Bruxelles. EBA IV, 23 juni in Antwerpen

A la fin de l’année 2015, faute d’avoir pu conclure un accord de coopération avec les gouvernements régionaux, le Gouvernement fédéral avait retiré de son projet de loi-programme la nouvelle procédure de DLUquater.

En effet, le Conseil d’Etat avait relevé des problèmes aigus de compétence dans le projet de DLUquater, tel que proposé dans la loi-programme de décembre 2015 : à défaut d’accord de coopération conclu entre les Régions et le gouvernement fédéral, ce dernier ne pouvait prendre d’initiative d’établir une procédure de régularisation portant sur des impôts régionaux (droits de succession, droits d’enregistrements, etc.).

En ce début d’année 2016, après plusieurs vaines tentatives de conciliation avec les Régions, le Gouvernement fédéral a finalement décidé d’aller de l’avant, et de proposer une procédure de régularisation fiscale portant uniquement sur les impôts qui relèvent de la compétence fédérale.

Le projet de loi portant instauration de ce ‘nouveau’ système de régularisation a été déposé à la Chambre le 29 mars 2016. Cette loi entrera en vigueur le premier jour du mois qui suivra sa publication au Moniteur belge.

En voici les contours….

 

  1. Une DLUquater partant de la DLUter…

Les conditions de la DLUquater se calqueront peu ou prou sur celles de l’ancienne DLUter, à savoir notamment :

  • un système de régularisation fiscale et sociale, à introduire auprès du Point de contact-régularisations institué au sein du Service des décisions anticipées ;
  • permettant tant aux particuliers qu’aux personnes morales de régulariser, moyennant le paiement d’un prélèvement (correspondant à l’impôt éludé majoré de points d’amende), les revenus (revenus immobiliers, mobiliers, divers et professionnels) et capitaux qu’ils ont omis de déclarer conformément aux dispositions légales en vigueur ;
  • octroyant à ces personnes une immunité fiscale ainsi qu’une immunité pénale. Ces effets seront comme par le passé exclus :

– si l’origine de ces revenus ou capitaux provient d’une infraction de blanchiment. La grande ‘avancée’ de la DLU ter est toutefois maintenue : le contribuable pourra procéder à une régularisation de revenus ou de capitaux qui auraient pour origine la fraude fiscale grave, organisée ou non, l’abus de biens sociaux ou de confiance ;

– en cas d’existence d’actes d’investigations spécifiques en cours ; et

– on ne pourra introduire qu’une seule DLU quater.

  • En outre, en ce qui concerne l’immunité pénale, celle-ci ne sera pas accordée si, avant la date de l’introduction de la déclaration-régularisation, le contribuable fait déjà l’objet d’une information ou d’une instruction judiciaire du chef des mêmes faits pour lesquels une régularisation est introduite.

 

2. …avec quelques différences majeures

Au niveau des sanctions

L’amende sera de 20 points dans tous les cas (la DLU ter prévoyait une amende de 15 ou 20 points selon que la fraude était ‘simple’ ou ‘grave et organisée’).

Les taux de pénalité seront augmentés chaque année, allant de 20 points en 2016 jusqu’à 26 points en 2021.

 

Mention expresse des fonds placés dans une construction juridique

Le projet de DLUquater prendra en compte la nouvelle « Taxe Caïman», qui prévoit que les personnes physiques et morales belges étant fondateurs ou « tiers bénéficiaires » d’une construction juridique seront taxées «par transparence» sur les revenus perçus par ces «constructions» en permettant une régularisation de ce chef.

L’on vise donc là l’hypothèse de la fraude future, dès lors que la « taxe Caïman » n’est entrée en vigueur qu’en 2015, ne devant donc faire l’objet d’une déclaration à l’impôt des personnes physiques qu’en 2016.

 

Les capitaux prescrits obligatoirement soumis à la régularisation

La DLUquater sera particulièrement lourde : les capitaux fiscalement prescrits, c’est-à-dire ceux sur lesquels l’administration fiscale ne peut plus exercer son pouvoir de contrôle et d’imposition, devront faire l’objet d’un prélèvement de 36% (augmentant chaque année de 1%).

Le contribuable ne pourra échapper à ce prélèvement de 36% sur le capital que s’il peut démontrer, moyennant une preuve écrite, complétée le cas échéant par d’autre moyens de preuve tirés du droit commun (à l’exception du serment et de la preuve par témoin), que ces avoirs ont déjà été soumis par le passé à leur régime d’imposition normal.

On s’écarte donc de ce qui avait été instauré par la DLU ter, une régularisation des capitaux prescrits à 35% si le contribuable avait besoin de l’immunité pénale qui était accordée, notamment à l’égard de l’infraction de blanchiment.

Dans le projet de DLUquater, d’une part la soumission des capitaux prescrits deviendra le principe, d’autre part, la charge de la preuve de ce que les capitaux ont subi en leur temps leur régime d’imposition normal reposera sur le contribuable.

Qu’en penser ?

D’une part, soumettre des capitaux prescrits à un prélèvement d’autorité de 36% met à mal un élément essentiel de notre droit, à savoir la prescription. La prescription constitue dans notre système juridique démocratique une garantie de paix sociale, impliquant que toute personne ne peut se voir libérer de toutes revendications dès lors qu’un certain nombre d’années s’est écoulé.

D’autre part, la prescription vise également à faire face à une réalité qui est inévitable : avec l’écoulement du temps s’accompagne une dégradation (voir une destruction) des éléments de preuve. Encore une fois, le projet de DLUquater fait fi de cette problématique. Alors que, dans notre système fiscal, la charge de la preuve est en principe mise sur les épaules de l’administration, la DLUquater renverse purement et simplement cette charge en la faisant porter par le contribuable. Ce dernier, souhaitant échapper à une taxation d’un capital prescrit, se verra contraint de prouver par écrit que son capital a effectivement subi son régime d’imposition normal en son temps.

L’on aperçoit donc là toute la difficulté de la tâche pour un contribuable qui, convaincu de l’origine légale de ses capitaux, devra néanmoins se soumettre à un travail de recherche de preuves qui, selon que le temps se sera écoulé, seront vraisemblablement indisponibles…

 

Impôts régionaux régularisables ?

A ce stade du projet, la DLUquater prévoit la possibilité de régulariser les revenus soumis aux impôts directs (IPP, ISOC, IPM, INR), la TVA, certains droits d’enregistrement qui sont restés de la compétence fédérale, ou encore certains impôts visés par le Code des droits et taxes divers (taxe sur les contrats d’assurance).

Quid toutefois de la possibilité de régulariser les droits de succession et autres impôts régionaux ?

En effet, depuis le 1er janvier 2015, la Région flamande est la seule compétente pour la détermination, le contrôle et la perception des impôts régionaux. Par ailleurs, quand bien même le fédéral est toujours compétent pour le contrôle et la perception des impôts régionaux au profit des Régions Wallonne et de Bruxelles-Capitale, ces dernières doivent marquer leur accord en vue de toute régularisation d’impôts régionaux.

A défaut d’accord de coopération, il en résulte que le projet de DLUquater, tel qu’il est libellé à l’heure actuelle, ne permettra pas la régularisation de ces impôts régionaux.

Ce système induira donc une dichotomie, contraignant le contribuable à s’adresser à deux institutions différentes, le SDA d’une part pour ce qui est des impôts fédéraux, et l’administration locale (VLABEL en Flandre et les receveurs de bureaux d’enregistrement en Wallonie et à Bruxelles-Capitale) pour ce qui est des impôts régionaux…

Il est toutefois à noter que le projet de loi prévoit la possibilité d’inclure, dans le future, dans le système de régularisation fédéral, la régularisation des impôts régionaux, moyennant la conclusion d’un accord de coopération.

3. Conclusion

Cette DLUquater serait la réponse du gouvernement à la situation existante aujourd’hui : nombre de contribuables belges ne sont pas encore en ordre et s’adressaient jusqu’il y a peu à l’ISI pour régulariser. Le gouvernement entend créer cette nouvelle procédure pour être sûr que tout le monde soit traité de la même manière.

On s’étonne de ce propos : comment pourrait-il en être autrement puisque l’administration fiscale (quelle qu’elle soit) est censée appliquer la loi et rien que la loi ? A priori, on ne devrait avoir de crainte. En pratique toutefois, on constate que l’administration impose à l’heure actuelle des conditions à la régularisation qui sont complétement hors cadre légal (imposition de capitaux prescrits si on ne prouve pas l’origine des fonds, imposition de successions pourtant prescrites…). Il fallait certainement intervenir pour mettre fin à de tels agissements mais pas en les érigeant en loi contraire à tous les principes.

Le gouvernement a besoin de fonds et a d’ailleurs anticipé cette mesure (qui n’est donc autre que budgétaire) annoncée au départ pour 2017. Si le texte est maintenu en l’état, le risque qu’il y ait peu de candidats à la DLUquater ne peut être exclu, au contraire !

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