Enseignement des projets immobiliers phares

Thomas-HauzeurThomas Hauzeur
Avocat
CMS DeBacker

 

I. Introduction

La jurisprudence émanant des projets immobiliers phares reste une source instructive pour examiner les enseignements de la plus haute juridiction administrative du Royaume. Deux arrêts rendus récemment par le Conseil d’État retiendront notre attention. Ils concernent des projets immobiliers d’envergure, l’un en Région de Bruxelles-Capitale (projet de 140 logements sur le site de la Plaine), l’autre en Région wallonne (projet Citta verde).

II. La Plaine : 140 logements en zone d’équipement d’intérêt collectif et de service 

Le premier projet est mené par la société Universalis Park, pour la construction de trois immeubles totalisant 140 logements. Outre son ampleur, ce projet a comme caractéristique de s’implanter au PRAS, en zone d’équipement d’intérêt collectif ou de service public. Pour rappel, cette zone n’a été ouverte à la construction significative de logements que depuis le 21 décembre 2013, en vue de rencontrer le boom démographique auquel doit faire face la Région.

La requête en suspension en extrême urgence, introduite par des riverains et une ASBL de protection de l’environnement a été rejetée par le Conseil d’État, dans un arrêt n° 228.987, du 30 octobre 2014, aux motifs suivants.

1) Conséquence de l’absence d’un permis de lotir

L’absence de permis de lotir ne peut entraîner l’illégalité d’un permis d’urbanisme délivré après la vente du terrain. Ainsi : « Si l’article 103 du CoBAT (qui impose la délivrance d’un permis de lotir) interdit de diviser un bien en créant un ou plusieurs lots afin de les vendre en vue de la construction d’une habitation, il ne frappe pas d’interdiction de bâtir les parcelles qui auraient été vendues en méconnaissance de cet article, mais a seulement pour conséquence – outre que des sanctions peuvent être prononcées à l’encontre du vendeur – que l’acquéreur ne peut revendiquer le bénéfice d’un droit de construire tel qu’il aurait été déterminé par un permis de lotir, mais se trouve soumis aux prescriptions urbanistiques applicables à la zone où ce terrain est situé ».

Cet enseignement n’est pas sans priver d’un certain effet l’exigence d’un permis de lotir. Sachant que le permis de lotir a une valeur réglementaire et le permis d’urbanisme est un acte individuel, ce dernier doit se conformer au premier. Toutefois, en l’absence du premier, d’aucuns pourraient considérer que le permis d’urbanisme est entaché d’illégalité.

2) Faut-il une évaluation globale des incidences sur des projets annoncés, mais non encore concrétisés ?

L’évaluation des incidences ne doit pas être globalisée à d’autres parcelles situées à proximité appartenant au même groupe, dès lors qu’il projette de les aménager d’une manière qui n’est pas encore décidée.

3) Portée de l’illégalité du régime d’évaluation globale des incidences censurée par la Cour constitutionnelle

L’illégalité de la dualité du régime entre rapport d’incidences et étude d’incidences censurée par la Cour constitutionnelle, dans un arrêt n° 46/2012 du 15 mars 2012, a été corrigée par l’arrêté du 30 septembre 2010 portant modification de l’Ordonnance du 13 mai 2004 portant ratification du CoBAT.

Par ailleurs, la Haute Juridiction a jugé qu’en l’espèce, il ne pourrait manifestement pas être raisonnablement soutenu qu’une étroite voirie de desserte locale donnant accès à trois immeubles relève de la même catégorie que les projets soumis d’office à études d’incidences par la directive européenne (comme par exemple : route à quatre voies ou plus, alignement ou élargissement d’une route existante à deux voies ou moins pour en faire une route à quatre voies ou plus, lorsque la nouvelle route ou la section de route alignée ou élargie a une longueur ininterrompue d’au moins dix kilomètres).

Dans un arrêt du 9 octobre 2014, n° 228712, la Haute Juridiction avait déjà jugé que l’illégalité dénoncée de l’ancien système n’était pas absolue. En effet, une telle atteinte ne serait effective que dans la mesure où ces dispositions pourraient avoir pour effet de faire échapper à une étude d’incidences des projets ayant une incidence notable sur l’environnement, alors que les projets d’une telle nature doivent, en vertu de la législation européenne être soumis à pareille étude. Le Conseil d’État rappelle que c’est à celui qui dénonce les lacunes d’un dossier de démontrer que ces manquements ont eu pour conséquence de faire échapper le projet à une étude d’incidences.

III. Citta verde : centre commercial et bâtiments multiples

Dans un arrêt n° 228.950 du 28 octobre 2014, le Conseil d’État a annulé la décision du Ministre de refuser un permis unique pour la construction d’un centre commercial et de nombreux bâtiments accessoires (crèche, hôtel, salle polyvalente, bureaux, logements, gare routière, salle multi-sports…)

1) Principe et limite de l’intérêt au recours pour un promoteur

Il ressort, tout d’abord, de cet arrêt que la seule qualité de propriétaire des parcelles destinées à accueillir le projet immobilier refusé suffit à fonder l’intérêt à agir de celle-ci, dès lors que l’acte attaqué consiste en un refus de permis unique. À l’inverse, la qualité d’actionnaire d’une société propriétaire d’un terrain faisant l’objet du refus de permis ne lui donne qu’un intérêt indirect au recours, insuffisant pour fonder la recevabilité de celui-ci. Ainsi, « la circonstance que l’octroi éventuel d’un permis unique a pu entrer en ligne de compte pour calculer la valeur financière de l’apport en nature ne pourrait pas davantage suffire à fonder l’intérêt personnel actuel de cette société ». De même la circonstance que la société actionnaire deviendrait, à terme, l’exploitant de l’établissement a été jugée insuffisante.

2) Recevabilité d’une requête en intervention introduite par une commune

Le Conseil d’État a rappelé sa jurisprudence constante selon laquelle une requête en intervention d’une commune doit être prise par le collège échevinal et confirmé par le conseil communal. À défaut, la requête est irrecevable.

3) Séparation des polices administratives de l’urbanisme et des implantations commerciales

Enfin, le Conseil d’État censure le refus de permis au motif qu’un permis unique ne peut être délivré ou refusé pour des motifs tirés de la concurrence que l’établissement en projet risque de faire aux entreprises existantes. En effet, selon cette juridiction, l’article 1er du CWATUPE vise la dimension économique et sociale de l’aménagement du territoire, sans toutefois pouvoir inclure l’implantation commerciale, traditionnellement réglée dans une police distincte qui relevait de la compétence exclusive de l’État jusqu’au 1er juillet 2014.

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