Focus sur les transferts de compétences opérés par la sixième réforme de l’État

Vanessa RigodanzoVanessa Rigodanzo
Conseillère en charge de la fonction publique, de la justice et des réformes institutionnelles
Cabinet de la vice-première Ministre Laurette Onkelinx

1- Pouvez-vous nous rappeler le contexte général des transferts de compétences réalisés par la sixième réforme de l’État ?

Le 11 octobre 2011, après 541 jours de négociation, huit partis concluent, sous l’égide du Premier ministre Elio Di Rupo, un accord sur une nouvelle réforme de l’État. Cet accord institutionnel pour la sixième réforme de l’État est ambitieux. Il vise à renforcer les communautés et les régions de notre pays en leur octroyant de nouvelles compétences qui, en termes de dépenses, représentent un montant de plus de 20 milliards d’euros. La sixième réforme de l’État réalise, de ce fait, un basculement du centre de gravité décisionnel au profit des communautés et des régions, dès lors que ces dernières disposent désormais, en termes de moyens, d’un montant cumulé de 86 milliards d’euros alors que les compétences résiduelles de l’autorité fédérale ne représentent « plus que » 76 milliards[1].

2- À partir de quand les transferts de compétences seront-ils effectifs ?

La loi spéciale du 6 janvier 2014 relative à la sixième réforme de l’État, publiée au Moniteur belge du 31 janvier 2014, opère ce grand transfert de compétences, lequel sera effectif à partir du 1er juillet 2014.

Le système mis en place par le législateur spécial sort ses effets en deux temps. À partir du 1er juillet 2014, les entités fédérées deviennent compétentes pour exercer leurs nouvelles prérogatives. Mais une période transitoire a été instaurée entre le 1er juillet 2014 et le 31 décembre 2014, afin de garantir la continuité des services publics liés aux compétences transférées. Durant cette période transitoire, l’État fédéral reste compétent pour procéder, pour le compte des entités fédérées, aux dépenses qui résultent de l’application des lois, des règlements ou de décisions relatives aux nouvelles compétences qui leur ont été attribuées[2]. Si ces entités prennent des mesures qui ont des répercussions directes ou indirectes sur les dépenses prises en charge par l’État fédéral, elles ne peuvent être exécutées avant le 1er janvier 2015 que moyennant le respect de certaines conditions[3].

Dans le même ordre d’idée, et dans un souci de loyauté fédérale, il est également prévu que durant la période s’écoulant du 31 janvier 2014 (date de la publication au Moniteur belge de la loi opérant les transferts de compétences) au 1er juillet 2014, l’État fédéral ne prendra pas, sans l’accord des entités fédérées, de décisions dans les compétences transférées qui auraient un impact budgétaire après le 1er juillet 2014. Il n’est donc pas question pour le fédéral d’adopter des mesures in extremis qui viendraient grever pour l’avenir le budget des entités fédérées.

Durant une période transitoire de 18 mois (du 1er juillet 2015 au 31 décembre 2015), l’État fédéral prélèvera, sur les moyens transférés aux entités fédérées, les dépenses relatives aux services administratifs à transférer qui ne sont ni effectivement, ni intégralement prises en charge par les entités fédérées. Ces prélèvements sont fixés par arrêté royal délibéré en Conseil des ministres après concertation des entités concernées.

3- Quelles compétences seront transférées ?

Les régions et les communautés voient désormais leurs compétences élargies afin de pouvoir mener des politiques plus ciblées et adaptées à leurs réalités économiques et sociales. Les matières transférées sont nombreuses et disparates.  Pour une liste exhaustive des matières transférées, je renvoie le lecteur à la loi spéciale du 6 janvier 2014 « relative à la Sixième réforme de l’État ». Je me focaliserai sur quelques matières emblématiques qui font l’objet d’un transfert partiel mais conséquent. C’est principalement dans les domaines de la santé et de l’aide aux personnes, de l’emploi et des allocations familiales que les entités fédérées acquièrent des compétences accrues.

Dans le domaine des soins de santé et de l’aide aux personnes, les Communautés deviennent désormais compétentes pour :

L’aide aux personnes handicapées, plus précisément les aides à la mobilité (exemple : une aide à l’achat d’une chaise roulante) et l’allocation pour l’aide aux personnes âgées (APA qui, à Bruxelles, est transférée à la Commission communautaire commune) ;

Les normes d’agrément des hôpitaux, les infrastructures hospitalières et les frais d’investissement. Les bâtiments qui abritent les hôpitaux seront transférés. En revanche, les soins dans les hôpitaux et le financement des hôpitaux continueront à relever intégralement du fédéral ;

La politique des personnes âgées. La pleine compétence en matière de maisons de repos et soins (MRS), maisons de repos pour personnes âgées (MRPA), centres de soins de jour (CSJ) et centres de court séjour (CCS), est intégralement transférée aux Communautés ;

La revalidation « long term care » : une série de conventions de rééducation fonctionnelle est transférée aux Communautés (exemple : toxicomanes, autisme, malentendants…) ;

Les soins de santé mentale : les institutions de santé mentale (maisons de soins psychiatriques, habitations protégées) sont transférées ;

La prévention ; jusqu’à présent les entités fédérées disposaient déjà d’une compétence partielle en la matière (notamment pour l’éducation sanitaire et les services de médecine préventive). En revanche, certaines compétences, telles que les mesures prophylactiques nationales, restaient de la compétence de l’État fédéral. Désormais, seules les entités fédérées pourront prendre des initiatives en matière de prévention ;

L’organisation des soins de santé de première ligne ;

L’agrément des prestataires de soins et les sous-quotas des métiers de la santé.

En ce qui concerne les allocations familiales, seules les entités fédérées (à Bruxelles, ce sera la COCOM afin que tous les bruxellois bénéficient du même régime) seront désormais compétentes pour les octroyer. Les cotisations sociales restent en revanche prélevées au fédéral pour assurer une solidarité entre tous les Belges. Afin de garantir la continuité des prestations, durant une période transitoire (courant jusqu’en 2019), les entités fédérées qui le souhaitent peuvent faire appel aux institutions fédérales actuelles pour continuer à assurer, contre rémunération, le paiement des allocations familiales.  À noter également que c’est le domicile de l’enfant qui constituera le critère de localisation dans la sphère de compétence matérielle attribuée aux communautés.

Les régions voient leurs compétences en matière d’emploi étendues.  Elles sont désormais compétentes pour :

Le contrôle de la disponibilité ainsi que l’imposition de sanctions des chômeurs y relative ;

Les dispenses du critère de disponibilité pour reprendre des études ou pour suivre une formation professionnelle ;

La politique axée sur des groupes cibles : à ce titre, les régions seront compétentes pour agréer les sociétés de titres-services qui pourront travailler sur leur territoire, déterminer les activités qui pourront être exercées dans ce système, fixer le prix des titres-services, en ce compris la question de la déductibilité fiscale ;

Le placement : les régions deviennent compétentes pour les programmes d’accompagnement visant à réinsérer les bénéficiaires d’un revenu d’intégration sur le marché du travail ainsi que pour les Agences locales pour l’emploi (ALE) ;

Le congé-éducation payé ;

La migration économique : régionalisation du pouvoir réglementaire concernant les permis de travail A et B, ainsi que de la carte professionnelle pour travailleurs indépendants ;

Les conventions de premier emploi et une série d’autres programmes, notamment en matière d’économie sociale.

4- Quelles sont les autres matières transférées auxquelles les juristes doivent être attentifs ?

À nouveau, de manière non exhaustive, plusieurs matières peuvent être épinglées :

L’aide juridique de première ligne est communautarisée ;

Les Communautés et la COCOM pour Bruxelles seront désormais compétentes pour déterminer les mesures qui peuvent être prises à l’égard des mineurs ayant commis un fait qualifié d’infraction ;

Les communautés seront compétentes pour édicter des règles propres en matière d’organisation et de fonctionnement des maisons de justice, ainsi que pour leur attribuer des missions dans le cadre des matières qui relèvent de leurs compétences ;

Les règles spécifiques concernant le bail commercial[4], le bail à ferme, le bail à cheptel, ainsi que les règles relatives à la location de biens destinés à l’habilitation sont transférées aux régions. À noter toutefois que l’État fédéral reste compétent en ce qui concerne les dispositions générales du droit civil en matière d’obligations et de contrats.


 

[1]Proposition de loi spéciale relative à la Sixième Réforme de l’État, Rapport, Doc. parl., Sénat, 2013-2014, n°2232/5, p.8.

[2] Voyez l’article 72 de la loi spéciale du 6 janvier 2014 « portant réforme du financement des communautés et des régions, élargissement de l’autonomie fiscale des régions et financement des nouvelles compétences » qui complète l’article 77 de la loi spéciale du 16 janvier 1989 relative au financement des Communautés et des Régions.

[3]Ces mesures doivent être soumises pour avis à l’inspecteur des finances en charge des compétences concernées, lequel est chargé d’établir un rapport contenant une évaluation de l’impact financier direct et indirect des modifications sur les dépenses prévues au budget de l’État fédéral ou de l’autorité concernée. Ensuite, sur la base de ce rapport, l’État fédéral et l’entité concernée fixent le montant provisoire qui sera imputé sur les moyens de l’entité. Enfin, fin 2014, le montant définitif de l’impact financier sera établi par arrêté royal sur la base d’un deuxième rapport de l’inspecteur des finances. Le montant définitif sera imputé lors de l’établissement du solde des parts attribuées des recettes à l’IPP.

[4]Notez, à ce sujet, la remarque formulée par le Conseil d’État dans son avis 53.932/AG du 27 août 2013 qui relève que le champ d’application de la notion de « bail commercial », tel qu’il résulte de l’article 1er de la loi du 30 avril 1951 « sur les baux commerciaux, en vue de la protection du fonds de commerce » est assez restrictif. En effet, il est interprété par la Cour de cassation en manière telle que, pour avoir un bail commercial, il est nécessaire que le preneur fournisse principalement ses prestations au public. De ce fait, cela exclut certains baux : ceux par exemple où le preneur n’a de contact qu’avec une clientèle limitée et fermée et non avec le public (exemple les bureaux administratifs d’une société). De même, les locaux affectés à une profession libérale ne sont pas compris dans le champ d’application de la notion de « bail commercial ». Le Conseil d’État émet donc des réserves quant au fait que la compétence relative au « bail commercial » soit transférée aux régions lorsque le bail est conclu en dehors du cadre traditionnel du commerce et des entreprises artisanales (telles que par exemple les professions libérales).

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